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Myron

Une nouvelle de Clarisse Thellier, 2de4

Article du 10 juin 2015, publié par Daniel Faugeron, PO (modifié le 10 juin 2015 et consulté 175 fois).

L’association Sauvegarde des enseignements littéraires (SEL) a organisé un concours de nouvelles en hommage à Jacqueline de Romilly : il était proposé à de jeunes lycéens d’écrire une nouvelle en lien avec l’Antiquité.

Plusieurs nouvelles issues du concours ont reçu une mention spéciale du jury.

Celle de Clarisse Thellier en fait partie.

Myron

Clarisse Thellier, 2de4


Lui. Majestueux, vivant, élancé, viril. Il semblait pouvoir vivre, enfin. Lui qui avait été enfermé dans la pierre si longtemps. Lui qui était resté figé pendant vingt-six siècles. On aurait pu croire qu’il pouvait lever la tête, regarder en face, ceux qui l’avaient tant de fois déjà dévisagé. On aurait pu penser que sa poitrine se dilaterait et qu’un souffle chaud s’échapperait de ce corps si puissant.

Mais c’était plus fort, il en était incapable, il était condamné à rester paralysé. Combien de temps devrait-il encore souffrir ainsi ? Car l’on peut admettre qu’il est très difficile de rester dans la même position autant de temps. « Le pauvre », finit par laisser échapper Athénaïs avant d’ajouter : « Quelle position étrange, j’ai mal pour lui ! » Elle le fixait maintenant depuis plusieurs minutes et ne se lassait de baisser et de lever les yeux pour scruter chaque infime partie de son corps tout en respectant un mouvement uniforme qui allait de bas en haut et de haut en bas. Il la fascinait. Lui si beau et fort, face à elle, si jeune et naïve.

Peut-être fallait-il d’ailleurs omettre le mot « jeune », puisqu’elle fêtait avant-hier son septième anniversaire. « L’âge de raison » avait affirmé sa mère, « tu es grande maintenant, tu pourras aller à l’école toute seule ». Et dès le lendemain, comme une jeune adulte, elle avait bu son chocolat chaud, préparé ses tartines au beurre qu’elle avait consciencieusement déposées dans son sac, et elle était partie à l’école par le chemin habituel qui relie sa maison à l’école primaire du 2e arrondissement de Naples.

Elle avait d’ailleurs appliqué le même programme pour le lendemain, à une seule différence près : bien qu’elle connaisse le chemin par cœur, elle avait tourné à droite au lieu d’aller tout droit. Autrement dit, elle avait décidé de passer par ce « musée de Naples » qu’elle avait toujours voulu découvrir, pour rallonger de quelques minutes seulement (c’était promis !), sa promenade matinale. « Je suis grande maintenant, je fais ce que je veux. » Athénaïs s’était convaincue qu’elle avait raison, et qu’elle pouvait, « pour une fois », aller au musée. De toute façon, Mme Boyet arrive toujours en retard.

Étant donné que le musée était gratuit pour les mineurs, elle passa sans difficulté. Après, les « Où sont tes parents ? » et les « Tu es venue toute seule ? », Athénaïs put enfin accéder aux différentes salles des couloirs. La première salle qu’elle parcourut fut la salle intitulée Antiquité. Ce mot était évidemment inconnu à la petite et sa première réaction quand elle entra dans la salle, fut : « Ils ne font pas beaucoup le ménage, ces statues cassées mériteraient d’aller à la poubelle. » Elle jeta ensuite quelques coups d’œil rapides aux bustes et corps de pierre défraîchis, avant que son regard ne s’arrête sur une statue. Cette statue. La statue.

Athénaïs regardait à présent ses bras. Il portait une soucoupe dans sa main droite et « se grattait le genou de la main gauche ». Son torse était tourné vers elle tandis que sa jambe droite s’avançait et que son pied gauche se pliait « comme une danseuse étoile ! », riait Athénaïs. Mais ce qui l’intrigua, c’était le peu d’habits qu’il portait ! Tandis qu’elle était emmitouflée dans sa doudoune, lui, nu, semblait avoir chaud et très à l’aise. « À poil ! » se moquait la petite intriguée. Une autre chose semblait la perturber. Ses yeux ? Son regard ? « Pourquoi regarde-t-il le sol ? » Après un instant de réflexion, elle certifia, sûre d’elle : « Il cherche l’insecte qui l’a piqué au genou, j’en suis sûre ! J’ai vraiment mal pour lui. »

Lassée de porter son cartable sur ses épaules, elle s’assit à terre et continua de le contempler. Sa soucoupe dans la main, c’était quoi exactement ? Une crêpe ? Non c’était trop gros. Une assiette ? Mais oui, évidemment ! Il faisait la vaisselle. Mais pourquoi est-il si baissé ? Mal de ventre sans doute. Il a peut-être trop mangé, et est obligé de faire la vaisselle avant que ses parents ne reviennent, tout en cherchant le coupable de sa piqûre au genou ! « Oh le pauvre ! » répéta une fois de plus Athénaïs, très compatissante (elle ne supportait pas cette corvée inutile : la vaisselle. Après tout, à quoi cela sert-il de laver pour resalir ?).

Comment pourrait-il s’appeler ? Elle réfléchit et chercha quelqu’un pour le lui demander. Une femme s’approcha d’elle. Elle en profita : « Excusez-moi madame, est-ce que vous sauriez comment s’appelle le monsieur ? » La femme sourit : « Oui, bien sûr ! La statue s’appelle le Discobole de Myron. On ne connaît pas le nom de l’homme représenté mais de celui qui l’a créé : Myron. » On pouvait lire l’incompréhension sur le visage de la petite. Qu’avait voulu dire cette dame étrange ? Elle haussa les épaules : quelle importance ! Elle avait entendu le nom Myron, alors l’homme devait s’appeler Myron. Pourquoi chercher le compliqué, alors que c’était si simple ? « Myron, quel drôle de nom ! Après tout, ce monsieur est si bizarre que ce nom lui convient plutôt bien ! » réfléchissait-t-elle. « Merci madame ! », n’oublia pas de répondre poliment. Elle était maintenant en tailleur bien en face de cette statue fascinante. Plus elle le regardait, plus il la fascinait. Finalement, elle se décida à prendre un de ses fidèles cahiers d’école et en arracha une page. Après avoir taillé son crayon à papier, elle se mit à esquisser un croquis de la statue, qu’elle trouva très réussi. Elle insista notamment sur l’assiette que tenait Myron, qui faisait maintenant le double de la tête de l’homme. Les jambes, assez fines ressemblaient étrangement à des bâtons, et ne se révélaient pas très proportionnelles, par rapport au torse, musclé, et plutôt bien représenté, pour une enfant de son âge. Elle insista sur les cheveux qu’elle colora noir et rendit crépus. Elle ajouta enfin une touche personnelle : en tout petit, à peine visible, elle dessina un anneau au doigt de la main gauche de la statue, y écrivit « Athénaïs » et crayonna un cœur. Il s’agissait maintenant de son nouvel ami, de son vrai ami, de son frère peut-être même. « Enfin un frère » qui pouvait la protéger et faire la vaisselle à sa place. Elle l’aimait beaucoup maintenant, et continuait de le regarder, jusqu’à ce qu’elle entendit une voix la ramenant à la réalité : « Ma petite, peux-tu te lever s’il te plait, certaines personnes aimeraient aussi pouvoir regarder la statue. » Elle se retourna et aperçut une femme, probablement la gardienne de la salle. Elle s’excusa et se leva. « Tu ne devrais pas être à l’école à l’heure qu’il est ? » s’exclama la dame. L’école ! Elle avait oublié ce petit détail ! Elle prit son cartable, sortit du musée et courut vers l’école où seuls les élèves de sa classe, les derniers, attendaient sagement dans la cour : Mme Boyet étaient en retard comme d’habitude.

— Ta journée s’est bien passée ? questionna sa mère pendant le dîner.

— Euh, oui, oui, ça va, sursauta la petite, rêveuse.

— Tu as l’air bien calme, ce soir, tu ne te sens pas bien ? »

Il fallait qu’elle invente une excuse. Depuis quinze minutes, elle mourrait d’envie de monter dans sa chambre afin d’admirer son superbe croquis.

— Je n’aime pas beaucoup les haricots avec le cassoulet, et j’ai un peu mal au ventre, est-ce que je peux monter dans ma chambre ?

— Si tu veux, tu feras la vaisselle après ? ne put s’empêcher sa mère.

Levant les yeux au ciel, et suite à un long et signifiant soupir, elle répondit : « D’accord » et courut dans sa chambre. Elle ouvrit son sac, et regarda une fois de plus (ce n’était jamais trop) avec des yeux dévorants, son nouvel idole.

On peut admettre qu’Athénaïs était quelque peu mature pour son âge : tandis que certaines petites filles, avaient une passion pour les fées, les poupées et les figurines en plastiques, Athénaïs s’était trouvé un appétit nouveau pour les sculptures de l’Antiquité. Cela pouvait peut-être s’expliquer par le manque d’affection familiale : son père travaillait beaucoup et sa mère voyageait. Elle passait donc davantage de temps toute seule ou avec sa baby-sitter qu’elle n’appréciait pas du tout. Elle sentait, en la présence de cette statue une protection masculine. Elle était en sécurité, et en confiance. C’était comme si ce protecteur veillait sur elle. Elle était passionnée et avait déjà l’impression de le connaître et d’avoir passé les sept ans de sa vie avec lui, bien qu‘il s’agissait en réalité d’un quart d’heure (mais un quart d’heure peut bouleverser toute une vie !).

Allongée sur son lit, elle pensa finalement qu’elle avait besoin de le revoir en vrai et de l’avoir chez lui. Elle réfléchit et s’aperçut qu’elle pourrait utiliser son appareil photo (sans le flash évidemment) qu’elle avait obtenu pour son anniversaire. Ainsi, elle l’immortaliserait et il resterait avec elle toute sa vie. Elle enfouirait la photo au fond de sa poche, comme un porte-bonheur qui veillerait constamment sur elle. Elle se fixa donc de retourner au musée le lendemain et de prendre une photo seulement ; cela suffisait à assouvir ce menu désir qui lui changerait la vie. Elle se sentit déjà étreinte d’un parfum de bonheur, et de quiétude et s’endormit avec le sourire aux lèvres, jusqu’à en oublier de faire la vaisselle (ouf !).

Le lendemain, elle se leva tôt avec des milliers d’images en tête. Elle avait rêvé de son nouveau frère. Elle lui avait parlé toute la nuit et partagé ses craintes, ses appréhensions, ses désirs, ses joies, et il l’avait écouté avec la sagesse et le silence irréprochable des Anciens. Elle était heureuse.

Athénaïs fit son sac et effectua le rituel matinal, sans oublier de prendre son appareil photo. Elle trottinait vers le musée, quand elle aperçut de grandes barricades de fer autour du monument. Plusieurs personnes étaient regroupées autour, tentant de comprendre la cause de cet événement. Elle leva la tête, et tenta d’adresser la parole à un policier. Quand elle ouvrit la bouche, elle se sentit prise par les épaules, et éloignée par une bande de grandes personnes : elle ne pouvait s’approcher des barrières. Que se passait-il ? Était-ce à cause d’elle ? Comment faire pour rentrer dans le musée ? Les questions tourbillonnaient dans la petite tête d’Athénaïs.

Elle était maintenant presque en train d’étouffer dans la foule qui s’amassait autour de l’événement : elle, si petite ne pouvait ni voir, ni comprendre. Elle leva la tête : le ciel. Elle baissa les yeux : des bottes à talons et des chaussures vernies. Engloutie dans cet océan de grandes personnes qui s’agitaient autour d’elle, elle sentit alors sa tête tourner et ses poumons compressés. Elle essaya de se baisser pour se frayer un chemin entre les jambes : son sac sur le dos l’en empêchait. Personne ne faisait attention à elle, elle était seule, dans une masse d’hommes et de femmes de plus en plus oppressants. La dernière chose qu’elle put sentir avant de s’évanouir, fut sa tête s’écraser contre le sol, au milieu d’une foule qui s’écartait enfin.

Quand elle se réveilla, elle se trouvait dans les bras d’un pompier, qui l’éblouissait avec une lampe de poche.

— Aïe, ma tête, se plaignit Athénaïs, avant de brusquement reprendre ses esprits : « Où es-tu ? Je dois te voir avant d’aller à l’école. Myron ! Myron ! » cria désespérément la petite.

— Calme-toi petite, entendit-elle, « Comment t’appelles-tu, où as-tu mal ? »

— Je n’ai mal nulle part, rétorqua Athénaïs en faisant la grimace. « Où es-tu ? »

— Mais de qui parles-tu ? » demanda une vieille femme dans le public de curieux.

— Je parle de Myron, l’homme qui est dans la grande salle du musée.

— Je ne connais pas de Myron, s’énerva le pompier.

— Je crois qu’elle fait référence à la statue le Discobole de Myron qui se trouve dans le département Antiquité, coupa un autre spectateur, très informé.

— Il y a eu une explosion de gaz dans le musée, ma chérie, de nombreuses statues ont été détruites, et notamment celles dans les départements au rez-de chaussée, dont celui de l’Antiquité, renchérit la vieille femme. Explosion, ce mot battait dans les tempes d’Athénaïs.

— Et Myron ? Athénaïs sentit son cœur battre de plus en plus. Sa respiration devint difficile.

— Si tu fais référence à la statue qui s’appelle le Discobole de Myron, elle a été touchée, elle aussi… Les spécialistes essayent de la réparer, mais elle est très endommagée.

Athénaïs eut soudain un frisson glacé qui lui parcourut le dos. Son Myron était blessé, son Myron s’était volatilisé, son Myron qu’elle voulait simplement prendre en photo, immortaliser. Son Myron. Son Myron qui devait la sauver de sa solitude de petite fille perdue. Il l‘avait abandonné dans une explosion. Il avait choisi une solution de facilité. Le lâche. Elle était seule. Une fois de plus.

Elle chercha désespérément un visage sur lequel poser ses yeux agités : un homme, le pompier. Cet homme aux cheveux noirs crépus, aux bras musclés, à la force masculine, la regardait. Il semblait vouloir lui dire quelque chose, ouvrir la bouche pour lui souffler un mot de tendresse, de réconfort, mais se retint et resta silencieux en apercevant une larme perler sur la joue ronde d’Athénaïs qui le fixait avec des yeux, brillants d’une souffrance inconsolable.

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