Sommaire

Sommaire

Recherche

Nous suivre

newsletter facebook twitter

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Rencontre avec Henri Grivois

Article du 26 mars 2010, publié par PO (modifié le 25 mars 2010 et consulté 2139 fois).

Jeudi 1er avril, de 9h30 à 11h30 au théâtre Lamy, l’École alsacienne reçoit Henri Grivois, psychiatre, auteur, entre autres, de Naître à la folie, Le Fou et le mouvement du monde, De l’angoisse du psychotique...

« Les psychoses ne sont pas de ces folies dont on devise en les opposant à la sagesse ou pour en faire l’éloge. Non, elles atteignent quelques êtres humains au risque de détruire leur vie et celle de leurs proches. Antédiluvienne, cette aliénation mentale, devint au XIX è siècle une maladie mentale. Elle est maintenant divisée en psychoses. Nulle part celles-ci ne laissent indifférent. Chaque civilisation, chaque culture chaque pays les distinguent et les traitent à leur façon.

Il ressort des travaux épidémiologiques que les troubles commencent entre 15 et 25 ans et atteignent environ 1% de la population. Aucun pays n’est épargné et nulle part ne s’observent d’atténuation ou de recrudescence. Garçons et filles sont touchés à égalité dans des contextes individuels, familiaux et sociaux très divers . Partout présente et d’une étonnante régularité, bien que redoutable l’avenir du premier épisode des psychoses reste imprévisible. Cela justifie le terme unique de psychose naissante . C’est ce tronc commun des psychoses au destin déroutant et souvent tragique et qu’on aborde ici.

On s’est toujours moqué des infirmes, des sourds, des aveugles et aussi des fous. Jadis on se distrayait en famille au spectacle des fous. Cette absence de respect et de pitié nous révolte. N’oublions pas que devant un vaste public, en 1757 Robert François Damiens était supplicié en place de grève et qu’en 1793, à Paris on guillotinait des centaines d’innocents. Sur la longue durée le regard porté sur les handicapés s’était modifié. Les fous cependant étaient relégués dans les hôpitaux généraux, au sens classique du terme, comme Bicêtre ou la Salpetrière qui recevait les indigents, les malades les escrocs et les criminels et les aliénés.

L’ambiance philanthropique et démocratique attisée par l’antagonisme révolutionnaire à l’ancien régime, jouent ici un rôle majeur. A la fin du XVIII è siècle des médecins philosophes et philanthropes, les aliénistes, créent une spécialité médicale nouvelle. Ils ne sont pas compétents, sur les fous personne ne l’est mais, dans le sillage des Lumières et comme un certain Napoléon Bonaparte plus tard se couronne à Notre-Dame, leur initiative est jugée recevable.

En 1802, Jean Antoine Chaptal, ministre de l’intérieur du premier consul, détermine par arrêté - le 6 germinal an X - que la folie ne serait plus traitée dans cet hôpital ouvert à tous. Les malades, ci-devant les fous, seront désormais conduits, les hommes à Charenton et les femmes à la Salpêtrière. Cette exclusion à visée humanitaire marque la fondation de l’asile d’aliénés.

LE CONCERNEMENT

Qu’ont en commun les psychotiques naissants, ceux qui arrivent aux urgences, ceux qu’on nous adresse en consultation et enfin les patients plus ou moins calmes et somnolents de Sainte-Anne et des cliniques privées ? Rien à première vue sauf qu’à terme tous risquent une grave affection chronique. Mais c’est là une autre histoire, la psychose naissante se déroule avant et hors de tout délire.

Les patients les plus calmes comme les plus agités, égarés, exaltés ou prostrés, ne ressentent rien dans leur corps et ne constatent rien autour d’eux. A des degrés divers ils sont plongés dans une expérience intense mais sans contenu exprimable. Cette expérience leur est, au moins en partie commune. Pour l’appréhender j’ai utilisé le terme concernement. Soyez attentifs car ce mot qui ne figure pas dans les dictionnaires va maintenant nous accompagner.

Le concernement est simplement ce que tout homme ressent en présence d’un autre homme, c’est-à-dire le plus souvent quasiment rien. Il n’empêche, quand on est seul dans une pièce où entre quelqu’un, même sans se voir on est plus tout à fait le même. Bien que ce sentiment soit banal et existe entre tous les êtres humains, il a ceci de particulier qu’il ne se décrit pas. Chacun le connaît sans y faire vraiment attention. Sans disparaître il varie avec les circonstances, parfois s’accentue, parfois s’atténue. Les gens se concernent assez quand ils se côtoient pour s’éviter. Concernement n’est cependant pas relation, par définition le concernement n’implique même aucune relation. Il sort du relationnel interpersonnel partout présent dans les sciences sociales et humaines. Jean-François Revel à ce titre appréciait ce mot. Il aurait aimé qu’il entre au dictionnaire de l’Académie Française.

Autre chose est le concernement psychotique . Un homme sent les gens concernés les uns par les autres mais en outre a le sentiment qu’ils sont avant tout concernés par lui. C’est insolite mais sans être un indice avéré de psychose. Cela le devient lorsque, sans plus être lié à la présence physique d’hommes et de femmes, l’expérience de cet homme persiste, partout, dans la solitude comme auprès de chacun . Bref, le concernement se poursuit mais désormais radicalement transformé en ce que, émanant de tous les êtres humains, il déborde le cadre de vie de cet homme. Ce trait est nécessaire à la psychose et lui est propre. S ans cette universalité, momentanément peu explicite mais irréversible, i l n’y a pas d’entrée en psychose. En d’autres termes on dira que pour le patient un lien existe désormais entre lui et tous les êtres humains sans exception.

Ce concernement est irrépressible et permanent. Sentant les gens concernés par lui, le patient l’est par eux. Comme si c’était réciproque, les gens absorbent son attention alors même qu’il est envahi par la leur. Chaque patient réagit ainsi à sa manière, allant du sentiment d’être manipulé à celui de déteindre sur les gens et de les influencer. Cela ne reposant sur rien de tangible ni de perceptible , les patients en situent le point de départ à l’extérieur d’eux. Reste à connaître la genèse de ce concernement universel.

ACTIVITE DELIRANTE PERSISTANTE

Bien avant les traitements chimiques, les auteurs classiques disaient qu’un tel épisode durait de l’ordre de quelques semaines. De nos jours on fait dormir les patients, on rend l’épisode plus confortable pour tout le monde mais on ne l’interrompt pas pour autant. Et au delà ? Naître à la psychose ne survient qu’une fois mais ne donne pas d’immunité. Une multitude d’évolutions sont possibles dont beaucoup nous échappent. Rarement le trouble disparaît et s’éteint. La guérison est possible après quelques rechutes.

Certains patients considèrent que leur concernement est réel et universel et vivent comme ça et l’acceptent. C’est fou reconnaissent-ils mais eux ne sont pas malades puisque tout le monde est concerné.

Le silence et la fermeture au monde qui s’installe très tôt chez certains n’est-il pas plus pertinent alors qu’un délire ? Ici on cite Hölderlin et Nietzsche. Après quelques textes flamboyants sur eux-mêmes et le monde, au décours de péripéties tumultueuses, l’un à Blaye dans le bordelais, l’autre à Turin, ils se replient et se taisent à jamais..

Il est exceptionnel qu’un homme massivement stimulé par le concernement, commette un acte violent. Suicide ou meurtre ouvrent une psychose qui, s’il survit, s’interrompt.

Ailleurs, de rechutes en rechutes, la pensée délirante reste instable et peu organisée. Les thèmes mouvants et embrouillés, le sentiment d’être au centre de tout, alterne avec des suppositions plus modestes. Des interprétations émergent, sensitives ou raisonnées. Culpabilité, fortune, machination, harcèlement, conspiration, les patients sont dans une perpétuelle attente parfois grandiose parfois d’une désolante pauvreté. Ils s’isolent, s’épuisent leur vie sociale se détériore. Les manifestations publiques manquent rarement. Un suicide met parfois fin à leur vie.

Le plus souvent l’épisode se calme mais la psychose après une rémission se poursuit ponctuées de rechutes et devient une maladie, une psychose chronique qu’on assiste, qu’on traite tout en aidant les patients à se réinsérer. Depuis plus d’un siècle on a multiplié ces psychoses selon l’allure qu’elles prennent à long terme.

Ce résumé est incomplet et nous a conduit très au delà la psychose naissante. Ces évolution les plus courantes, alternent ou se superposent, s’aggravent ou s’améliorent. De longues rémissions surviennent, des guérisons sont possibles mais difficiles à affirmer. On parle peu de ceux qui vont assez bien après quelques années ou de ceux qui vont bien et dont on a oublié l’épisode initial. En était-ce un ? Les pessimistes endurcis répondront par la négative. Pour moi je ne le suis pas.

TROIS GEANTS DE LA PENSEE ET DE LA FOLIE NAISSANTE, JESUS, ROUSSEAU, NIETZSCHE.

Rousseau, psychose naissante à perpétuité

D’abord, de Pinel et Esquirol à Lacan et à au delà, Rousseau a payé de sa personne en illustrant toute la littérature psychiatrique. Paranoïa, schizophrénie, psychose cyclique, perversion trouble de la personnalité la liste n’en finit pas. Vivante des encyclopédie des maladies mentales, tous les diagnostics lui ont été décernés souvent avec malveillance.

Il a vécu le concernement jusqu’à sa mort. Nulle part en revanche il n’aborde le début de ses troubles. Est-ce à 17 ans, ou plus tard en allant voir Diderot à Vincennes ou plus tard encore comme il l’évoque dans ses lettres de 1762 à Malesherbes ? Il a été prolixe sur ce sujet, ne s’en est jamais caché et fut fécond en suppositions dans sa
correspondance et ses dialogues.

Avec Rousseau s’ouvre le débat rituel sur l’existence de complots réels. Tout l’atteste, objet de jalousie voire d’aversions et de haine, il a été victime de sales tours. Laissons ça aux historiens. Il ne s’en est pas embarrassé, il les a crées et nourris. Au delà de ce constat chacun fait son choix. Les auteurs anglais qui ne l’aiment pas tirent du coté de la folie. Les français en font plus facilement une victime. Politique de Gribouille, il s’est brouillé avec tout le monde et surtout avec ses bienfaiteurs. Rien n’est plus courant que de tels traits de caractère.

Suite et fin le 1er avril 2010. »

Henri Grivois, le 23/03/2010

Voir aussi : Magazine littéraire n°442.

École alsacienne - établissement privé laïc sous contrat d'association avec l'État

109, rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris | Tél : +33 (0)1 44 32 04 70 | Fax : +33 (0)1 43 29 02 84