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Cinquante jours au Botswana
Rapport de stage de Charlotte Monluc, élève de 1ère S4
Dans le cadre des programmes d’échanges de longue durée organisés par l’Ecole alsacienne, Charlotte Monluc, alors élève de 2nde, a passé près de deux mois au sein de l’école Maru a Pula, située à Gaborone au Botswana, et dans la famille de sa correspondante Oratile.
Elle livre ici son témoignage sur ces 50 jours pas comme les autres qui lui ont beaucoup appris : comme elle l’écrit, "durant ces deux mois j’ai appris à ne pas juger, à regarder, à comprendre (du moins à essayer). Je suis arrivée au Botswana avec des yeux européens, et je quand je suis rentrée en France, mes yeux étaient toujours européens mais ils se sont un peu ouverts et il s’agit désormais de les ouvrir toujours un peu plus."
50 jours au Botswana
C’est seulement dans l’avion que je réalise vraiment ce que je vais vivre pendant les deux mois prochains. Nous sommes le 19 Mai, il est 23h et Ninotchka et moi allons nous envoler pour Gaborone, la capitale du Botswana. Le Botswana, je ne savais même pas où c’était avant que Madame Ellinger ne me parle de cet échange (notons mes piètres aptitudes en géographie) et nous voilà, quelques heures plus tard à l’aéroport.
Je n’étais jamais allée en Afrique, et consciente du nombre incalculable de clichés que j’avais en tête (entre Tintin au Congo et Kirikou, mon idée de la culture africaine n’était pas très élaborée), j’avais décidé de ne rien m’imaginer.
Dès que nous sommes sorties de l’aéroport, ce sont les étendues de terres battues orangées à perte de vue qui m’ont le plus frappées. Le dépaysement était total, plus d’immeuble, plus de rue, plus de nuage. Au Botswana il y a du Soleil toute l’année même pendant leur hiver. Il n’y a pas vraiment de routes, les trottoirs sont en terre, et les maisons n’ont pas d’étage à cause des températures très élevées en été. Ce qui m’a également frappé, c’est le contraste entre les habitations. Si certains botswanais s’entassent dans le bidonville d’Old Naledi sans eau courante ni électricité, quelques kilomètres plus loin, extention 9, d’autres citoyens vivent dans de grandes maisons avec piscines et domestiques. C’est dans ce quartier que vivent les Matome, ma famille pour les deux prochains mois.
Dès mon arrivée, j’ai déjeuné avec ma famille pour les deux prochains mois, il y a Joe le père qui est consultant, Floe la mère qui travaille dans les assurances, Opelo l’aînée qui étudie les sciences politiques aux Etats Unis et Oratile (Rati pour les intimes) ma correspondante et future amie. Les Matome sont vraiment très chaleureux, ils sont aussi très organisés (contrairement à ma famille). Tous les dimanches soirs sans exceptions, c’est Joe, le père, qui cuisine. Il prépare le Braï (version botswanaise du barbecue) durant lequel on mange une quantité gargantuesque de viande, c’est le seul soir de la semaine où il s’occupe du dîner. Le reste du temps, c’est Baesetsana, leur “auntie” qui s’occupe des repas. Elle vit chez les Matome et s’occupe de leur maison tous les jours de 6h du matin à 20h le soir, c’est extrêmement courant au Botswana (dans un les milieux sociaux plutôt élevés). J’ai été choqué par le peu de rapports affectueux entretenus entre les Matome et cette femme. À plusieurs reprises j’ai trouvé qu’ils lui parlaient mal, et cela m’agressait vraiment ; j’ai compris en allant chez d’autres gens que c’était culturel. C’est dans ces moments que je me suis efforcée de ne pas porter de jugement, quand certaines choses vont à l’encontre de l’éducation que vous avez reçu depuis 16 ans il est parfois difficile de relativiser.
Très tôt dans mon séjour, les Matome m’ont présenté le reste de leur famille : leurs frères, leurs soeurs, leurs oncles, leurs tantes, leurs cousins, leurs grands parents… C’est ainsi que j’ai put comprendre l’importance qu’a la famille au Botswana, elle se doit d’être la préoccupation majeure de chaque individu, on est obligé d’aimer sa famille (chaque cousin, chaque tante…). Le respect que l’on doit à ses aînés et surtout aux parents m’a également frappé : selon Rati les adolescents ne se disputent jamais avec leurs parent (ils se font disputer mais ne se disputent pas) alors qu’en France, ces querelles font parties du quotidien de nombreuses familles.
En fonction des générations la langue diffère, en effet, si les plus jeunes parlent tous anglais et maîtrisent à peine le Setswana (l’autre langue officielle) du pays, les plus âgées quant à eux s’expriment presque qu’uniquement en cette langue qui n’a rien à voir avec ce que j’ai pu entendre auparavant. Floe a essayé de m’apprendre quelque mots de Setswana mais la plupart d’entre eux sont extrêmement difficiles à prononcer pour nous autres francophones, si bien que mes essais ont souvent déclenché des crises de fous rires chez les botswanais.
GABORONE
Gaborone ne ressemble à aucune des villes que j’ai pu voir auparavant. En effet, à Gaborone le sol est en terre battue, le ciel bleu n’est pas caché par les immeubles trop élevés et le soir on peut voir les étoiles dans le ciel. Le plus étonnant reste tout de même le fait qu’il y ait des vaches et des ânes à tous les coins de rues. Opelo m’a expliqué qu’au Botswana presque tout le monde avait des vaches, la plupart du temps sans vraiment s’en préoccuper, c’est pour cela que nombre d’entre elles s’échappent et errent dans la ville jusqu’à ce qu’on les retrouve (ou pas).
On ne se balade pas dans Gaborone, on se déplace en voiture d’un point à un autre. Les rues sont trop dangereuses (selon les Matome) pour flâner comme on peut le faire en Europe. De plus si dans les villes occidentales il y a des magasins dans chaque rue, des habitations dans presque tous les quartiers, à Gaborone tout est organisé. Il y a un quartier d’affaires où sont situés les seuls immeubles à étages, un quartier d’habitation pour les milieux sociaux élevés dans le centre de la ville, un autre en banlieue (Pakalane), un bidonville pour les milieux les plus pauvres. Il n’y a pas de centre historique, le seul élément lié à l’histoire est la statue monumental des “trois chefs” fabriquée en Corée du Sud, elle représente la délégation botswanaise qui est allé réclamer l’indépendance du pays à la Grande Bretagne il y a exactement 50 ans. Tous les lieux de loisirs sont dans les centres commerciaux qui sont le lieu de prédilection des jeunes.
Ces jeunes ont d’ailleurs très peu d’indépendance, puisque tous les déplacements se font en voiture, de fait leurs parents les accompagnent partout. A part le combi (sorte de minibus) il n’y a pas de transports en communs à Gaborone. De plus le combi est très peu emprunté par les milieux sociaux élevés car il est considéré comme étant mal fréquenté. Avant de vivre au Botswana je n’avais jamais réalisé à quel point je dois mon autonomie aux transports publics (vive la RATP !), lorsque vos parents vous conduisent partout, cela limite davantage les endroits ou vous pouvez aller ainsi que les heures auxquelles vous pouvez sortir.
Ainsi pour se distraire cette jeunesse sort tous les weeks ends. De nombreuses fêtes sont organisées. Fêtes qui sont très différentes de celles que nous pouvons faire à Paris. Tout d’abord au Botswana faire une fête coute cher car vous devez nourrir tous les invités, ensuite tout le monde est très apprêté : pas question d’arriver en jean et en t–shirt et enfin l’ambiance n’a rien à voir. Au Botswana, on danse. Tous les invités bougent en cercle (et en rythme !) sur n’importe quel type de musique et d’un seul coup quelqu’un se met au centre du cercle et fait quelque chose d’incroyable ; à ce moment là vous vous dites que ce génie de la danse doit faire une sorte de sport étude ou qu’il n’est pas humain ; puis au fil de la soirée vous réalisez que tout le monde va au milieu et qu’ils dansent tous aussi bien les uns que les autres. Envieuse de ce don incroyable je leur ai demandé de m’apprendre, j’ai beau avoir été studieuse et motivée comme je ne l’avais jamais été, les résultats ne sont pas probants, à mon grand désespoir…
La majorité des Botswanais vivent à Gaborone (il y a 600 000 habitants) et ne se déplacent donc qu’en voiture ou presque, il y a parfois plusieurs voitures par famille ce qui engendre de gros problèmes de circulation ainsi que des problèmes de pollutions (protéger l’environnement est un des objectifs majeurs du Botswana )
Il ne faut pas oublier que Gaborone est une ville qui se construit, et qu’elle aura très probablement d’ici quelques années l’infrastructure nécessaire.
L’ÉCOLE MARU A PULA, ET LES WEEKS ENDS
L’école d’Oratile, et de fait mon école, s’appelle “Maru A Pula” qui signifie nuage de pluie en Setswana, si pour nous autres Parisiens cela ne présente rien de bon, au Botswana au contraire, c’est le meilleurs des présages qui soit. Mes deux mois d’école à MaP s’annonçaient donc très bien.
Maru a Pula est un campus qui accueille des pensionnaires et des élèves externes (comme Oratile), il y a plusieurs terrains de sports, un théâtre, une salle de musique, de quoi s’acheter à manger sur place : les élèves peuvent tout faire sur place, comme dans une université américaine. Les jardins de l’école sont les plus verts que j’ai vu au Botswana, il y a des singes dans les arbres (j’ai bien écrit des singes), les salles de classes sont des petites maisons à l’image de l’architecture de Gaborone et l’école est vraiment très bien entretenue. Les élèves ont un « poliforme » (variante de l’uniforme en moins stricte) ce qui m’a fait gagner beaucoup de temps le matin.
Les élèves ont cours tous les jours (du lundi au vendredi) de 7h10 du matin à 12h45 l’après midi. Chaque journée commence par 20 minutes de vie de classe avec le professeur principal, les élèves sont en général très proches des professeurs qui vivent tous sur le campus et sont encore plus proches de leur professeur principal qui a la même classe du début à la fin du lycée. Les relations entre professeurs et élèves sont beaucoup plus détendues au Botswana qu’en France, le respect qu’on doit à l’enseignant est radicalement différent, je l’ai trouvé beaucoup plus fort en France.
Deux fois par semaine tout le niveau se réunit avant d’aller en cours dans le théâtre, durant cette période appelée « assembly » le directeur et le reste de l’équipe pédagogique font des annonces à propos des événements à venir, des éventuels spectacles et conférences, font des discours, des remarques sur ce qui va, ce qui ne va pas. Le directeur a aussi profité de cette heure pour projeter une vidéo sur la confiance en soit afin de motiver les élèves. J’ai vraiment beaucoup aimé cette heure, je trouve que cette vie de classe géante nous permet d’être plus impliqué dans la vie à l’école. Chaque classe a également cours de « Discussion » deux fois par semaine, ce cours est l’équivalent de notre vie de classe sauf que le professeur change à chaque fois, durant cette heure les élèves parlent d’orientation, de projets, de questions de sociétés. C’est le seul cours où tous les élèves d’une même classe sont réunis.
En effet à MaP les élèves ont la possibilité de choisir tous leurs cours. Sur les huit matières imposées par l’académie, les élèves sont obligés de suivre des cours d’anglais et de mathématiques et peuvent choisir toutes leurs autres matières. À MaP, la musique a le même coefficient que la physique ou que la biologie. Je ne sais trop quoi penser de ce système car à la fois c’est vraiment bien que les élèves puissent faire ce qu’ils aiment le plus tôt possible, mais en même temps ils ont parfois de grosses lacunes dans les matières qu’ils ne suivent pas. Rati par exemple, ne connaît presque rien de la Seconde guerre mondiale puisqu’elle ne fait plus d’histoire depuis plusieurs années.
Les exercices demandés au Botswana sont également totalement différents de ce que nous pouvons faire en France, la rédaction a une part mineure et il en va de même pour l’organisation d’un texte argumentée. Les contrôles se font sous forme de questions de cours auxquelles les élèves doivent répondre. Rati m’a expliqué qu’ils commenceraient les exercices de rédaction en Terminale (Form 6).
Ce que j’ai également beaucoup apprécié à Maru a Pula c’est le nombre de projets extra scolaires qui sont organisés. Par exemple durant notre séjour il y a eu la « Wellness week » semestriel. Durant cette semaine, de nombreuses conférences sur le corps humain, l’alimentation et le sport sont organisées, et les élèves ont la possibilité de faire un atelier sportif différent chaque jour après l’école. Ninotchka et moi avons escaladé KGale hill, qui est une colline au centre de Gaborone, la montée a été rude (surtout pour la sportive que je suis) mais la vue de là haut est magnifique ! De nombreux ateliers sont aussi organisés avec des universités prestigieuses comme Yale, Harvard ou Julliard pour offrir la possibilité aux élèves de développé des intérêts en dehors du travail académique.
À MaP tous les élèves font quelque chose en dehors de l’école, que ce soit du sport, de l’art ou de l’humanitaire, puisque ils n’ont jamais cours l’après midi. Les sportifs ont la possibilité de faire partie d’une des nombreuses équipes de l’école et de pouvoir porter les couleurs de leur établissement lors des nombreux tournois interécoles qui ont lieu tout au long de l’année (Nous avons pu assister à un tournoi multi sports entre MaP, ISSA une école sud - africaine, et une école zimbabweene). Les élèves qui sont intéressés par la comédie, peuvent faire partie du club de théâtre de l’école et donner des représentations, ceux qui préfèrent la musique, peuvent participer à l’orchestre de l’école et même au groupe de Marimba (qui est une sorte de xylophone géant). MaP organise aussi de nombreux « community services » auxquels les élèves peuvent apporter leur aide. Les « community services » regroupent beaucoup d’activités, cela va d’embellir l’école à nourrir les familles du bidonville, en passant par rendre visite aux malades dans les hôpitaux, donner des cours d’anglais, ramasser des déchets sur la route, aider la SPA locale. Ninotchka et moi avons décidé d’occuper nos après midi par des community services et en donnant des cours de français aux élèves de maru a pula qui avaient des examens.
HUMANITAIRE
Quatre après midi par semaine, Ninotchka et moi nous nous sommes rendues avec d’autres élèves dans le bidonville d’Old Naledi, « vieille étoile ». Nous prenions le bus pour aller dans une école primaire : Tschwaragano pour apprendre l’anglais à des enfants qui vivent dans ce bidonville.
Le contraste entre les habitations faites de moyens de récupérations et les demeures de nos correspondantes est vraiment frappant. Je savais avant de partir ce qu’était un bidonville, j’avais lu des articles, appris mes cours de géographies, je m’étais apitoyée sur ces conditions de vies atroces comme nombres de mes camarades, puis l’heure d’après je n’y pensais plus, je ne réalisais pas vraiment : c’était loin. Lorsque j’y suis allée, dans le bidonville, j’ai été dégoutée par mes conditions de vie, j’ai eu honte les deux premières fois de la chance que j’ai eu de naître là où je suis née… puis je me suis habituée à les voir maigres et tachés. C’est cela qui me dégoute le plus avec le recul, le fait de m’être habituée, d’avoir adopté la maxime « lucky, unlucky » comme ils disent, mais je ne crois pas en la fatalité (c’est peut être parce que j’ai 16 ans me direz vous) et nous pouvons les aider à devenir « lucky ».
Quant nous descendons du bus, des dizaines d’enfants aux vêtements déchirés, sales ou trop petits nous sautent dessus et nous entraînent dans l’école. Les professeurs qui s’occupent de cette activité nous confient à chacun des groupes d’enfants de manière complètement aléatoire. Dans mon groupe il y a Minisset, Chari, Olorato, Paco et Buenelo. Les plus jeunes Olorato et Buenelo (5 et 7 ans) sont tout contents et commencent à jouer au memory avec moi, les plus âgés Chari et Paco (9 ans) se méfient, sont plus distants, il leur faut plus de temps avant de bien vouloir se joindre à nous. La première séance s’est vraiment bien passée et nous nous sommes beaucoup amusés, Olorato m’a dit qu’elle était contente d’avoir appris de nouveaux mots. Au moment pour nous de rentrer dans le bus, Minisset s’approche de moi et me demande si je ne pourrais pas lui donner 5 Pulla, l’équivalent de 50 centimes. Je n’avais rien sur moi et je n’ai jamais eu le droit de leur donner quoi que ce soit. Ce que je retiens surtout de cette expérience ce sont les enfants que j’ai vus tous les soirs après l’école, ces enfants que je vais vous présenter.
Chari
Chari a 9 ans, c’est la première enfant que j’ai rencontrée. Elle est grande, très mince, et a les cheveux rasés. Elle est belle et sourit très peu. J’aime son regard à la fois provocateur et plein de gentillesse, dépourvue de toute naïveté pourtant, comme si on lui avait volé son enfance. Elle ressemble à une sorte d’animal sauvage encore inconnue et complètement farouche, elle porte toujours un bonnet bien que la température minimale soit de 20 degrés, ses vêtements sont trop courts, tachés, et déchirés aux coudes et aux genoux.
Elle ne m’a pas du tout parlé au début. Elle s’est méfiée de moi, peut être parce que je suis blanche, ou parce qu’elle ne me connaissait pas. De tous les enfants avec lesquels j’ai parlé, c’est elle qui maitrise le mieux l’anglais, elle m’a aidé de nombreuses fois en traduisant mes instructions en setswana pour que les autres comprennent. Chaque soir quand nous sommes dans le bus et que les enfants, par grappes, s’enfoncent dans le bidonville, j’aimerais la suivre, savoir d’où elle vient, ce qu’elle fait, comment est sa famille, ses frères, ses sœurs. Elle m’a dit qu’elle était l’aînée, qu’elle avait cinq petits frères et sœurs dont elle s’occupe. Chari m’a aussi présenté son cousin, j’ai alors compris que toute sa famille vivait dans le bidonville et qu’elle n’en sortirait sûrement pas. Un jour, alors que je m’imaginais à son âge, je lui ai demandé ce qu’elle ferait en rentrant de l’école, je m’attendais naïvement à ce qu’elle me dise qu’elle jouerait ou qu’elle ferait ses devoirs, au lieu de ça elle me répond « clothes and dishes », j’ai aussitôt eu honte de ma bêtise. Nous n’étions pas comparables, mon enfance dorée loin de toute responsabilité, de tout problème n’avait rien à voir avec la sienne, elle qui s’occupait à 9 ans de ce que je ne pourrais sûrement pas assumer à 16 ans. J’admire cette petite fille qui n’en est pas une, elle est tellement vive, tellement gentille, tellement forte. Sa situation me met hors de moi sûrement parce que je ne peux rien faire depuis le Botswana. Mais dés que nous serons à Paris, j’aiderais Charity, et Olorato, et Paco, et Minisett, et tous les autres.
Olorato
Olorato a 7ans, elle a toujours un sourire accroché à son visage, comme si elle n’était jamais triste. Elle est légère et rit aux éclats à peu près toutes les trois minutes. Quant elle sera plus grande, elle veut devenir infirmière ou maîtresse d’école. Elle me demande d’où je viens, quand je lui ai apporté une photo de la Tour Eiffel, elle ne m’a pas crue. Elle a voulu voir mon frère, ma sœur, mon père, ma mère, mon chat. Elle m’a fait remarqué que mon pantalon n’était pas troué et que j’avais beaucoup de chance, je lui ai répondu que oui. Nous n’avons pas pu beaucoup communiquer verbalement parce qu’elle ne parlait pas très bien anglais. Mais on s’est comprise grâce à des gestes, à des regards, à des sourires.
Buenelo
Buenelo a 5 ans et ne va pas encore à l’école. Elle ne quitte jamais son sweat shirt spider man et est tout le temps enrhumée selon Olorato. Elle est toujours surexcitée et sautille partout, ce qui a le don d’agacer Chari qui trouve « cette petite bien trop bruyante ». Buenelo essaye d’apprendre tout ce qu’elle peut, dés que je lui enseigne un mot d’anglais, le lendemain, elle s’en souvient. Elle montre une satisfaction sans borne lorsqu’elle trouve une bonne réponse. Malgré la motivation que Buenelo avait face à l’apprentissage de l’anglais je pense tout de même que ce qui lui a le plus chez moi, ce sont mes cheveux : elle passait des dizaines de minutes à tripoter ces drôles de trucs.
Je me suis énormément attachée à ces enfants, j’aurais voulu rester plus, pour mieux les connaître, pour mieux les aider. L’heure passée chaque jour avec eux a changé ma vision du monde, ma vision de l’enfance. Je ne leur ai sûrement pas appris un dixième de ce qu’ils m’ont appris, et j’aimerais leur être utile, je voudrais les aider à sortir du bidonville, qu’ils puissent voir le monde et que le monde puisse les voir.
CARNET DE BORD
1. Kasane et Vic Falls
Mon séjour au Botswana a été coupé par une semaine de vacances, durant laquelle la famille Matome m’a fait découvrir la plus grande richesse du Botswana : la vie sauvage (et non pas les diamants qui arrivent en deuxième position). Ainsi, Opelo, Oratile, Joe, Flo et moi sommes arrivés à Kasane, au Nord du pays après 7 heures de route.
Une heure avant que nous arrivions à destination, je vois à une centaine de mètres de la voiture une tache grise plutôt imposante sur le point de traverser la route, un peu endormie par le voyage, il me faut quelques instants pour distinguer la trompe, la queue, les oreilles : un éléphant ! Joseph s’arrête pour le laisser passer, les yeux écarquillés je vois un pachyderme passer sous notre nez, puis un deuxième, puis un troisième : nom d’un chien (ou plutôt nom d’un zèbre) me dis-je, je suis dans le livre de la Jungle ! Je suis la seule étonnée, les Matome eux ont l’air d’avoir l’habitude. Habitude que je vais d’ailleurs prendre au bout de deux kilomètres puisqu’il y a autant d’éléphants sur cette route que de cochons en Bretagne.
Le lendemain, Joe nous réveille à 4h du matin pour que nous puissions faire un tour de voiture dans la réserve naturelle. Il est très impliqué dans la conservation des animaux et a une culture très large en ce qui les concerne. Il m’a expliqué que les félins vivent la nuit et que c’est pour cela qu’il faut être sur place très tôt pour avoir une chance de les voir. Depuis la voiture nous avons vu le Soleil se lever sur le delta de l’Okavungo, c’était comme un paysage de carte postale mais en mieux. Nous avons roulé 5 heures dans la réserve et le spectacle ne s’arrêtait pas : tantôt une antilope, tantôt un éléphant suivie de son petit, tantôt des hippopotames, ou des buffles sans parler des dizaines d’espèces d’oiseaux. Nous avons même vu des girafes en plein combat : c’est très impressionnant bien que ce soit très lent. Les girafes se donnent des coups de cous jusqu’à ce que l’une d’entre elle tombe, si une girafe tombe alors elle meurt. Joseph m’a expliqué que dans une réserve naturelle, les êtres humains avaient interdiction d’intervenir : si un éléphant meurt sous les yeux des responsables de la réserve il ne faut pas lui venir en aide. Le Botswana est le pays d’Afrique qui respecte le plus sa faune et sa flore. Le braconnage est très sévèrement puni et la lutte contre cet acte est beaucoup plus active que dans bien des états. Les lois concernant les animaux sont très strictes, et l’infrastructure mise en place pour ces derniers est vraiment importante, plus que celle mise en place pour les enfants vivant à Old Naledi…
Le jour suivant, nous avons traversé la frontière pour nous retrouver au Zimbabwe. Bien que ce pays touche le Botswana, les états n’ont rien à voir. Si au Botswana les lois sont respectées et équitables, au Zimbabwe, ont ne récupère pas l’argent qu’on place dans les banques... Des faux policiers ont voulu faire payer Joe et Floe sur la route. Les Matome m’ont expliqué que le Zimbabwe était un état monstrueusement corrompu par le dictateur Robert Mugabe, c’est pour cela qu’énormément de Zimbabwéens ont fuit leur pays pour le Botswana. Néanmoins, les richesses naturelles de ce pays sont immenses, et c’est pour cela que nous y sommes allés. En effet, nous avons pu voir l’une des sept merveilles du monde : les chutes Victoria. Je me suis sentie comme Livingstone en arrivant sur les lieux. Le bruit de l’eau qui cogne contre la pierre, et ces chutes bordées de verdure qui s’étalent à perte de vue, créent un contraste incroyable avec la sécheresse du reste de la région. Des tonnes de litres d’eau s’écoulent sous vos yeux dans un vacarme incroyable sous le Soleil brûlant d’Afrique, l’endroit était bondé et pourtant pendant toute notre balade le long de ces 2km de chute, je me suis sentie seule au monde, comme s’il n’y avait que moi minuscule perdue face à ce paysage immense. Joseph nous a expliqué que ce sont les chutes qui ont empêché la construction de routes de commerce par les marchands anglais, « l’homme ne peut dompter la nature » (dixit Florence Matome).
2. Un village botswanais : description et organisation
Sur le chemin du retour vers Gaborone, nous nous sommes arrêtés à Serowe, le village natal du père de Rati. C’est un village très important au Botswana car c’est aussi le village d’origine de Seretse Kamma, le premier président du pays qui est à l’origine de son indépendance. C’est sur le point le plus haut du village que ce héro national est enterré avec sa femme. Le jour où nous y sommes allés tout le village était affairé car il préparait la fête du président, un des seuls jours férié au Botswana.
À la campagne, beaucoup de Botswanais vivent encore dans des huttes en terre, et un toit en paille ou en bois. Tous les enfants ne vont pas à l’école, où arrêtent d’y aller très tôt en fonction des ethnies. Par exemple, chez les Mazezuru, les enfants quittent l’école entre 9 et 12 ans pour se consacrer à la fabrication et à la vente de petites cabanes en bois ou de paniers en osier avec leurs parents.
Le village botswanais a sa propre organisation politique : la loi du village et la loi de l’état sont deux entités totalement différentes. Un homme peut encore avoir quatre femmes sous la loi du village alors que c’est tout à fait impossible selon la constitution botswanaise. Le chef du village est l’homme le plus important, il gère les problèmes politiques et les différents entre villageois. Au centre du village, il y a une place publique (comme une sorte de forum) qui s’appelle le kgotla où les gens discutent, où les décisions sont prises, où les problèmes se règlent. Il arrive souvent qu’un cas soit jugé juste en fonction de l’opinion des villageois et non par rapport à la loi.
Pour mon dernier week end avec eux, les Matome ont tenu à me montrer l’une des plus grande ville d’Afrique australe : Johannesburg. Située à 4 heures de Gaborone, c’est la première « vraie ville » que je vois depuis deux mois. Il y a des routes, des trottoirs, il n’y a pas non plus de centre historique et tout est également organisé comme à Gaborone mais il y a des gens dans la rue, des touristes qui se baladent, des gens qui vont au travail, des jeunes qui se retrouvent. Dans les endroits où nous allons il y a presque autant de blancs que de noirs, c’est une chose que je n’aurais jamais remarquée si je n’avais pas fait partie de la toute petite minorité blanche du Botswana pendant deux mois. En Afrique du Sud, les rapports entre blancs et noirs sont très tendus explique Rati, certains Afrikaners se sentent supérieurs aux noirs qui quant à eux détestent parfois les blancs. Durant mon séjour j’avais très peu pensé à l’histoire de la région, histoire que le musée de l’Apartheid m’a apprise.
Nous avons en effet visité ce musée. Les Matome ont vraiment tenu à partager cette période de leur histoire avec moi, histoire que je ne connaissais presque pas. Si, écoliers français que nous sommes, nous connaissons Charles de Gaulles et Louis XIV par coeur, Nelson Mandela, quant à lui n’a jamais été abordé en cours d’histoire. En effet si je savais que l’Afrique du Sud avait été un pays dans lequel une minorité de blancs imposait des règles basée sur la supériorité raciale à une majorité noire, si je savais que les blancs et les noirs avait été séparés, et si je connaissais le combat de Mandela et la manière dont il l’a mené, je n’avais pas idée de la violence qui caractérise pourtant cette période. Je ne savais pas que la police avait réprimé une manifestation étudiante en tirant à balles réelles sur ceux qui marchaient pour leurs droits. Je ne savais pas non plus que les noirs qui résistaient, qui se battaient contre l’apartheid étaient pendus. De fait je n’avais pas pu comprendre à quel point la réconciliation initiée par Mandela est quelque chose d’incroyable. Depuis mon retour du Botswana, je m’intéresse beaucoup plus à ces années, je regarde des films, je lis des articles pour mieux comprendre cette question dont j’ignorais tout avant de partir.
CONCLUSIONS – IMPRESSIONS
Je n’ai sûrement jamais autant appris que lors de ces deux mois. Tout au long de cette expérience j’ai été dans des situations face auxquelles je n’avais jamais été confrontée auparavant.
Être en minorité / être une minorité
Tout d’abord, pendant ces deux mois, je me suis retrouvée en toute petite minorité : il y a très peu de blancs au Botswana. Je n’avais même pas pensé à cet aspect, pourtant majeur avant de partir, j’avais toujours été indifférente à ma couleur de peau et à celle des autres. Sûrement parce qu’en France tout ou presque est fait en fonction de la majorité à laquelle j’appartiens. Là bas, il est arrivé aux gens de me regarder d’un drôle d’air dans la rue, dans les restaurants ou au cinéma (Rati m’a confirmé que c’était probablement à cause de la couleur de ma peau). On m’a posé beaucoup de questions sur ma peau, mes yeux, mes cheveux et nous avons échangé avec Rati et ces amies sur les différences entre leurs corps et le mien (il faut savoir que les cheveux sont un problème quotidien très important pour les botswanaises qui n’arrivent pas à les « maîtriser »). Au début je n’ai pas prêté attention à ce point, c’est seulement lorsque je me suis retrouvée dans l’avion pour Paris que je me suis dit « tiens ils sont comme moi » en regardant les autres blancs, je n’avais aucune arrière pensée ni même aucune pensée tout court, c’était juste une constatation que je n’avais jamais faite avant.
En plus d’être en minorité sur le plan physique, j’étais aussi en minorité sur les plans culturel et intellectuel : mon mode de pensée et mes valeurs sont occidentales et ne correspondent pas du tout à celles du Botswana. Dans ce pays considéré comme l’un des plus libre d’Afrique, l’homosexualité est un crime passible de prison. Je me suis rendue compte des divergences de mentalités entre le Botswana et la France lorsque Ms. Hurban, le professeur d’anglais nous a donné une liste de sujets d’actualité qu’il fallait défendre. Ainsi, sur cette feuille le droit à l’euthanasie était sur le même plan que le droit de vivre ensemble avant le mariage (pratiques très répandues en Europe et impensable pour beaucoup au Botswana). La majorité des amis de Rati a été choquée par le fait que mes parents soient divorcés, encore plus par le fait que mon père ait eu un deuxième enfant sans s’être remarié.
Le choc de la misère
Ce qui m’a choqué, moi qui vais à l’Ecole alsacienne et qui ne sors pas vraiment souvent de la capitale, c’est la misère. Misère que je n’avais jamais vue. Mon expérience dans le bidonville d’Old Naledi m’a appris énormément de choses, tout d’abord que ce genre de situations existe. Avant de voir ces gens maigres, ces enfants pieds nus, qui vivent dans sous des plaques en tôle de mes propres yeux, je voyais les bidonvilles comme quelque chose de très lointain, de presque fictionnel. C’est une des raisons pour laquelle, la découverte de ce milieu a été difficile pour moi, j’étais en colère après le Botswana qui laissait une partie de sa population vivre ainsi. Je me suis insurgée contre le fait que les éléphants et les girafes recevaient plus de soins que les enfants. Mais ça c’était avant de comprendre que les éléphants et les girafes attirent le tourisme, et de fait l’argent qui sert la population.
CE QUE L’EXPERIENCE BOTSWANAISE A CHANGÉ CHEZ MOI
Les enfants que j’ai rencontrés à Tschwaragano ont été une partie majeure de mon expérience botswanaise, je voudrais continuer à les aider après mon retour, faire perdurer l’expérience. Ainsi, nous voudrions monter, Ninotchka et moi, un partenariat entre l’école Alsacienne et Maru a Pula afin de lever des fonds pour que ces enfants aient accès à l’éducation, accès au monde extérieur. Nous voudrions sensibiliser le reste de l’école à leur situation. Nous avons pensé, qu’en plus de la vente de gâteaux traditionnels, nous pouvions organiser plusieurs évènements comme par exemple un concert de marimba. Nous voudrions que ce projet dépasse la simple collecte de fonds, et que l’expérience soit également humaine, c’est pourquoi nous avons imaginé que les élèves du petit collège pourraient entretenir une correspondance en anglais avec les enfants qui étudient à Old Naledi. Ainsi ces derniers se sentiraient directement concernés puisqu’ils n’aideraient plus des inconnus.
Cet échange au Botswana m’a également montré qu’on pouvait faire quelque chose à son niveau pour aider les autres. Avant je me disais que je n’avais pas la capacité d’aider les gens, dorénavant je suis consciente que je ne réglerais pas toute la misère du monde, mais que ce n’est pas pour cela que je ne peux pas faire quelque chose, à mon échelle pour aider quelqu’un, quelque part. À MaP, les élèves sont encouragés à monter ce genre de projets, et nous nous en sommes inspirés avec Ninotchka.
Cette expérience m’a énormément appris, sur tous les plans. Elle m’a également donné envie de voyager, de découvrir encore d’autres pays, d’autres cultures, d’autres modes de vie, d’autres langues, d’autres histoires. Durant ces deux mois j’ai appris à ne pas juger, à regarder, à comprendre (du moins à essayer). Je suis arrivée au Botswana avec des yeux européens, et je quand je suis rentrée en France, mes yeux étaient toujours européens mais ils se sont un peu ouverts et il s’agit désormais de les ouvrir toujours un peu plus.
Charlotte Monluc
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