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Comme en quatorze ?
Mercredi 20 novembre nous aurons le plaisir d’accueillir les écrivains Jean-Christophe Bailly (France), Christos Chryssopoulos (Grèce), Patrick Deville (France), Elsa Osorio (Argentine) et Hyam Yared (Liban) pour une table ronde autour du thème
1913, 2013 : C’EST REPARTI COMME EN QUATORZE ?
en partenariat avec MEET, résidence d’écrivains et de traducteurs à Saint-Nazaire, et la librairie Tschann, Paris VIe.
À 19h au théâtre Pierre-Lamy.
Entrée libre.
Les écrivains ont-ils leur mot à dire ? Ont-ils un devoir d’alerte ? Ou bien la littérature, à la différence du journalisme, doit-elle de tout cela se moquer comme de l’an quarante ?
Comme en Quatorze
Patrick Deville
L’an prochain, le Centre André-Malraux de Sarajevo participera aux cérémonies du centenaire de l’attentat, les coups de feu en juin près du pont sur la rivière Miljacka qui avaient mis le feu aux poudres. Dès l’été la mobilisation, la Première Guerre mondiale. Les civils, pas encore Poilus ni Gueules cassées qui montent au front la fleur au fusil comme dans le 14 d’Echenoz, le départ en fanfare : Comme en Quatorze ! Deux ans plus tard, Verdun et les mille morts par jour pendant des mois. Les gaz de combat. La phrase paradoxale et française, l’idiotisme, est difficile à traduire : C’est reparti comme en Quatorze !, qui signifie encore aujourd’hui que, finalement, tout va pour le mieux, et, qu’après quelques inquiétudes, tout est à nouveau sur la bonne voie, et dans l’optimisme. Comme en Quatorze !
Souvent, à la découverte de telles phrases, les enfants sont perplexes, et mettent en doute la lucidité des adultes. Je me souviens de l’interrogation produite par cette autre locution : S’en foutre comme de l’an Quarante, prononcée devant moi une vingtaine d’années après l’autre mois de juin, et le début de la Deuxième. L’exode, puis les millions de morts. Comment pouvait-on s’en foutre ? Jusqu’à ce que, des années plus tard, je retrouve la phrase dans Moravagine de Cendrars, roman écrit en 1925. Et, selon Duneton, elle serait attestée deux siècles plus tôt, pendant la Révolution, bien que son sens et son origine demeurent imprécis.
Un an avant l’attentat de Sarajevo, au printemps de 1913, c’est à Paris, au tout nouveau Théâtre des Champs-Élysées de l’architecte Auguste Perret, qu’on accueille les Ballets Russes de Diaghilev. On donne Le Sacre du Printemps de Stravinsky, et la chorégraphie est de Nijinsky. Le soir de la première, les toilettes et les bijoux et le champagne. Les hommes sont en habit devant le velours rouge et sous les ors. Tout cela est d’un grand œcuménisme, artistes et banquiers réunis. Au cocktail Ravel et Debussy. Gide et Claudel. Cocteau. Proust et Cendrars. Henry James et Joseph Conrad. Sarah Bernhardt et Isadora Duncan. Les financiers Gulbenkian, Vanderbilt et Rothschild. Ont-ils conscience alors, à bord du grand vaisseau Art-déco, que ce ballet et ce concert semblent donnés, avec le recul qui est le nôtre, dans les salons du Titanic coulé un an plus tôt en avril 1912 ? Un peu plus d’un an après avoir applaudi au spectacle et levé sa coupe, le Suisse Cendrars s’engagera dans la Légion étrangère, et s’en ira perdre son bras droit en Champagne pour ne plus jamais applaudir.
Et un siècle après nous sommes en 13 à nouveau, et devant le spectacle de l’écroulement de l’Europe, de la montée des nationalismes, de la recherche de nouveaux boucs émissaires. En Grèce, le Centre de traduction littéraire Ekemel, partenaire, avec la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs, du réseau européen Récit, a fermé ses portes en 2012. Le Centre National du Livre à Athènes a fermé les siennes au début de 2013. Quand la traduction est, comme on le sait, la seule langue commune de l’Europe. Tout cela est-il reparti comme en Quatorze ? Les écrivains, et les artistes d’une manière plus générale, ont-ils là-dessus leur mot à dire ? Ont-ils un devoir d’alerte ? Ou bien la littérature, à la différence du journalisme, doit-elle, de tout cela, se foutre comme de l’an Quarante ?
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