Sommaire

Sommaire

Recherche

Nous suivre

newsletter facebook twitter

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Sans titre, par Pierre-Aurélien Po

Article du 4 juin 2012, publié par PO (modifié le 5 juin 2012 et consulté 478 fois).

La Nouvelle vague fantastique : Table des matières


Sans titre

Pierre-Aurélien Po

Je me nomme Emile Bourdeau. Je vis seul depuis le décès de ma femme, dans un grand et joli appartement. Un appartement que je connais depuis mon enfance, dans lequel rien n’a bougé, ni les meubles ni les tableaux. Je m’y sens bien. Je suis très âgé et malade. Je risque malheureusement de mourir prochainement. Je souhaite vous raconter une histoire, une histoire que je n’ai jamais racontée à quiconque car je risquais de défaillir. Aujourd’hui ce n’est pas grave, car la mort est proche.

Cette histoire, la voici : à l’époque je travaillais très dur en tant que juriste dans une compagnie d’assurance. Je traitais des dossiers extrêmement compliqués et, de temps en temps, pour me détendre, j’allais exercer ma passion, la chasse, dans une charmante maison de maître que j’avais achetée aux enchères, suite à une sinistre histoire de suicide. Une maison isolée de tous bruits, loin de tout, décorée de la même façon que mon appartement avec des tableaux et des meubles anciens, sombres et poussiéreux. Un week-end d’hiver, j’avais convié deux amis à venir chasser avec moi. Les journées étaient courtes, les nuits profondes et silencieuses et j’étais ravi de tromper ma solitude avec Claude et Antoine, et de fêter ainsi l’ouverture de la chasse. Ils étaient tous deux très bons chasseurs. Le trajet pour la Sologne fût long, mais nous étions heureux et gais d’êtres tous les trois réunis. Une fois arrivés, tous très fatigués, nous sommes allés nous coucher chacun dans notre chambre. Je m’endormis très vite d’un profond sommeil. Tout à coup, un craquement très net qui venait de l’escalier me réveilla en sursaut et me fit faire un bond de mon lit. Etait-ce un homme qui montait à l’étage ? Ou était ce juste un gros rat qui se promenait dans la nuit, ou encore une chauve-souris qui se débattait dans le grenier ?

J’allais alors inspecter à l’aide d’une bougie tout juste allumée la cage d’escalier et le grenier. Je n’étais pas rassuré, mais il fallait tout de même que je comprenne d’où venait ce bruit inquiétant. Je ne vis rien de particulier, mais sentis un froid intense me parcourir les os. « Bon sang, mais c’est bien sûr : c’est la différence de température entre les pièces qui fait ainsi craquer le bois de l’escalier et des poutres », me dis-je en murmurant. J’allais alors me recoucher sereinement.

Le lendemain matin, je me réveillais le premier, en pleine forme. Je décidais de préparer le petit-déjeuner pour mes amis sans doute encore endormis puisqu’il n’y avait personne dans la cuisine. Claude et Antoine me rejoignirent quelques instants plus tard peut être réveillés par la bonne odeur du chocolat chaud que je préparais. « Avez-vous passé une bonne nuit, mes amis ? N’avez-vous pas été réveillés par les craquements de la maison ? ». Claude et Antoine n’avaient rien entendu ; ils avaient dormi comme des enfants. Pendant que nous prenions notre petit déjeuner, je remarquai qu’un très épais brouillard, mêlé de neige, envahissait les alentours de la maison. « Mauvais temps pour la chasse : nous ne verrons pas le moindre gibier à plus de cinq mètres ! » ai-je fait remarquer à mes amis. Alors que je mettais une bûche dans la cheminée de la cuisine, je vis soudain très distinctement par la fenêtre une ombre de forme humaine. L’ombre d’un homme qui semblait me menacer d’une hache portée au-dessus de sa tête. Je poussai un cri de terreur et mes amis se précipitèrent à mes côtés. L’ombre avait disparu. « Si, je vous assure, il y avait quelqu’un dans le jardin ! » Claude, le plus courageux d’entre nous, nous proposa de sortir dans le jardin, armé d’un fusil. Nous fîmes alors le tour de la maison. Avais-je vraiment vu un homme nous menaçant, ou était-ce juste le fruit de mon imagination ? Soudain, je remarquai des traces dans la neige devant la fenêtre de la cuisine. « Regardez, ce sont des empreintes de cerf. Voilà ce que j’ai vu par la fenêtre : l’ombre de ses bois m’ont fait imaginer une hache dressée contre nous ».

Rassurés, nous sommes donc partis à la chasse malgré le mauvais temps. Nous nous sommes postés chacun dans notre affût. Le brouillard s’était encore épaissi, et nous allions revenir bredouilles. Soudain, il me sembla entendre deux coups de fusils. J’étais à la fois surpris et heureux qu’un de mes camarades de chasse ait eu la chance de tomber nez à nez avec un gibier. C’était maintenant l’heure de se retrouver au rendez-vous. « Alors mes amis lequel d’entre vous a tiré ? Et quel animal avez-vous tué ? ». « Ce n’est certainement pas moi », dit Claude. « Ni moi », ajouta Antoine, en gloussant. « Mais alors d’où provenait ce coup de feu ? Quel était ce bruit ? Etait-ce un coup de tonnerre ? » leur ai-je demandé. Je n’avais pas de réponses. Sur le chemin du retour, nous avons croisé Monsieur Le Jeune qui, en raison du brouillard, semblait égaré sur mes terres . « Ah monsieur Bourdeau, l’avez-vous vu le grand cerf ? Je l’ai suivi jusque sur vos terres pour le tirer. Mais je pense l’avoir raté. » « Ah, vous nous rassurez : nous pensions que nous étions seuls et je ne comprenais donc pas d’où venait ce bruit ». Claude, Antoine et moi sommes rentrés à la nuit tombante à la maison . Nous avons dîné joyeusement, et j’ai raccompagné à la gare mes deux amis après le repas, ravis de leur journée de chasse.

A mon retour je me suis fait couler un bain très chaud. La buée envahissait la pièce et tout était silencieux dans la maison. J’étais à nouveau seul. Au moment où j’allais entrer dans mon bain, mon regard se dirigea vers le miroir au-dessus du lavabo. Je m’en approchai alors de plus près et ce que vis me glaça les sangs pour toujours. Sur le miroir, la buée de mon grand bain chaud avait fait apparaître des lignes d’une écriture inconnue :

« Les craquements dans l’escalier, les pas dans la neige et les coups de fusils, tout cela : c’était Moi. Je te regarde Emile Bourdeau. Je te regarde et je te surveille car tu es chez moi. »

Depuis ce jour, je ne suis plus jamais retourné dans cette maison. Je sais maintenant qu’elle ne m’a jamais appartenu et que je n’y serai jamais chez moi.

École alsacienne - établissement privé laïc sous contrat d'association avec l'État

109, rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris | Tél : +33 (0)1 44 32 04 70 | Fax : +33 (0)1 43 29 02 84