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Batailles d’artistes

Article du 24 novembre 2009, publié par PO (modifié le 24 novembre 2009 et consulté 566 fois).

Batailles d’artistes

par Déborah Haddad, Léa Brunswic et Marin Toussaint

Au début de l’année 1401, Filippo di Ser Brunelleschi Lippi, âgé d’à peine vingt-quatre ans, peintre, orfèvre et architecte de formation, exécutait des statuettes pour l’autel de San Jacopo à Pistoia. Tandis qu’il était plongé dans son travail, qu’il trouvait cependant indigne de son talent, on lui annonça qu’un concours ouvert aux maîtres talentueux de tous les pays d’Italie aurait lieu à Florence. Sans en écouter d’avantage, Brunelleschi laissa son ouvrage inachevé et partitpour Florence.

A la même heure, le très talentueux Lorenzo Ghiberti, de son véritable nom Lorenzo di Cione, lui même peintre, orfèvre, architecte mais également sculpteur, réalisait des peintures à la cour des Malatesta à Pesaro, quand on lui apprit l’existence du concours. Ghiberti chercha à en savoir d’avantage, mais rien ne lui fut révélé ; seul un rendez-vous fixé au lendemain devant le baptistère de Florence à midi, lui fut fourni. Intrigué, il décida de s’y rendre, prévoyant de terminer son ouvrage à son retour ; mais il n’en aura pas l’occasion...

Le jour suivant, ledit Ghiberti, attendant patiemment devant le baptistère l’arrivée des organisateurs du concours et de ses concurrents, fut violemment bousculé.

« Ne restez pas figé là comme cela ! N’avez-vous donc rien à faire de vos journée ? déclara d’une forte voix le blâmable.

— Vous prenez le temps de vous quereller avec un inconnu que vous avez bousculé
au lieu de vous excuser, j’en conclus, cher monsieur, que vos journées ne doivent pas être bien chargées.

— Vous ignorez à qui vous parlez ! Ma vie est bien plus importante que la vôtre, misérable ! Moi, je suis un artiste. Et voyez-vous le baptistère San Giovanni ? Et bien, sachez que, très bientôt, je me verrai confier l’ornement de ses portes.

— Si vous le dites... »

A ces mots, Ghiberti s’éloigna de quelques pas, exaspéré par l’attitude de son futur rival.

A ce moment, Giovanni di Bici de’Medici arriva, s’arrêta au centre de la place et déclara haut et fort qu’il serait un des jurés du concours organisé par la Guilde des lainiers de Florence pour la réalisation de la porte nord, analogue à celle d’Andrea Pisano. « Que tous les participants se réunissent devant moi. » annonça le notable florentin. Brunelleschi s’avança la tête haute, afin de marquer sa supériorité, mais heurta à nouveau quelqu’un.

« Encore vous ? Ne pourriez-vous point vous ôtez de mon chemin ? Serait-ce trop vous demander ? Allez, disparaissez de ma vue, maintenant, vocifèra-t-il.

— Ce serait avec plaisir, rétorqua Ghiberti, mais étant moi-même engagé dans cette compétition, je pense que nos chemins vont devoir malheureusement à nouveau se croiser.

— Oh petit insolent ! Vous vous êtes joué de moi ; vous êtes en réalité un artiste, n’est-ce pas ? Et bien, soit. Puisque nous serons amené à nous revoir, apprenez mon nom : Brunelleschi, Filippo Brunelleschi.

— Fort bien. Quant à moi, je me nomme Lorenzo Ghiberti. Monsieur, il est temps d’y aller. Que le meilleur gagne.

— Point de cela entre nous. Apprenez que mon talent est bien plus important que le vôtre, et que c’est moi qui gagnerai ce concours. Ne tentez pas le diable, et passez votre chemin.

— Ce n’est pas dans ma nature. »

Sur ce, les deux hommes s’inscrivirent auprès du juré et prirent connaissance de ce qui les attendait. Ils apprirent alors qu’ils devraient réaliser le sacrifice d’Isaac sur un panneau, en respectant l’harmonie avec ceux de la porte sud du baptistère, tout ceci devant être fait en moins de deux mois. Les deux hommes se lancèrent un dernier regard, et regagnèrent leur atelier respectif.

Les jours passaient : Ghiberti schématisait ses idées au brouillon tandis que Brunelleschi tentait d’éliminer de la compétition Simone di Colle di Val d’Elsa, surnommé Simone Dei Bronzi tant sa maîtrise du bronze était impressionnante. Arrivé à l’atelier de ce dernier, il découvrit avec surprise Dei Bronzi en pleurs sur son tabouret.

« Mais quelle honte Simone ! Que penserait la populace si elle te voyait dans cet état là ! Remets toi, voyons ! Tu rabaisses ma condition par ton comportement enfantin.

— Je ne sais pas qui vous êtes, mais cela est, pour l’instant, mon moindre problème.

— Tu ne sais pas qui je suis ?

— J’ai été écarté du projet pour orner les portes du baptistère ! déclara di Colle sans prêter attention à la question de Brunelleschi. Je n’ai plus de talents aux yeux du jury... je n’ai plus de vie, plus de commandes... »

Brunelleschi, comblé de bonheur, laissa son ancien rival à ses tourments et retourna à son atelier pour y organiser une supercherie à l’encontre de Ghiberti. « Mais comment faire croire à ce cher Lorenzo qu’il a été éliminé sans même qu’on prête attention à son travail ? » Il avait appris que Ghiberti avait la réputation d’avoir une générosité sans borne, mais n’arrivait pas à trouver comment utilisé cette faiblesse. Une illumination vint éclairer son esprit quand Jacopo della Quercia arriva.

« Bonjour confrère... dit ce dernier, gêné.

— Bien le bonjour mon ami ! Que me vaut cette joie ?

— A vrai dire, Filippo..., s’exclama Jacopo satisfait que Brunelleschi soit de bonne humeur, je... j’ai quelques problèmes financiers ces temps-ci, et si tu pouvais me payer quelques grammes de bronze pour que je puisse finir mon Sacrifice d’Isaac, ce serait extrêmement généreux de ta part, et je t’assure que je te rembourserai, avec intérêt, même si cela est puni par Dieu, en temps voulus ; car pour participer à ce concours, j’élongerai mon temps passé au purgatoire, et je...

— Du calme Jaco, l’interrompit Brunelleschi, je te ferai don de ce bronze, si, et seulement si, tu me rends un petit service, peu chrétin je te l’avoue.

— Cela m’est égal ! Dis-moi, dis-moi, ce que je devrai faire ! »

Brunelleschi s’amusa alors à se jouer de della Quercia, et lui expliqua que Ghiberti lui avait volé son bronze deux jours après le commencement de l’épreuve, et que pour le lui reprendre, il allait falloir lui faire croire qu’il avait été exclu du concours. Jacopo ne comprit pas à quoi cela servait, qu’il fallait simplement dénoncer Ghiberti aux organisateurs du concours et que ce n’était pas parce qu’il était évincé de la compétition qu’il rendrait le bronze à son propriétaire.

« Si tu veux ton précieux bronze, mon cher, tu va devoir suivre mes indications. Sur ce, va. »

Della Quercia se rendit alors à l’atelier de Ghiberti et lui annonça poliment qu’il venait de rencontrer un des jurés qui lui avait fait savoir qu’il était éliminé.

« Comment ? interrogea Lorenzo, ils ne m’ont même pas vu à l’oeuvre ! Quelle injustice... et quelle déception !

— Je compatis mon ami, je compatis... mais dis-moi, ton bronze ne t’étant plus d’aucune utilité désormais, pourrais-tu, dans un élan de charité, m’en faire don ?

— Bien sûr mon ami ! Je ne pense qu’à moi, je me plains et me lamente, et j’en oublie de te proposer ma petite quantité de bronze... quelle honte ! Tiens, prends, je te l’offre avec plaisir ! Sers-t-en pour gagner le concours ! »

Della Quercia trouva que Ghiberti n’était qu’un naïf et un crédule ; et sans une once de remerciements entreprit de sortir de l’atelier, quand il rencontra le président du jury, Giovanni di Bici de Medici.

« Mes artistes ! Quelle chance de vous trouvez là tous les deux ! Je venais contrôler si tout se passait bien pour vous Ghiberti.

— Comment cela ? Della Quercia vient de m’avertir que ma participation n’était plus requise, et vous prétendez venir pour « contrôler que tout va bien » ? Non, monsieur, si c’est pour cela que vous vous êtes dérangé, je vous assure que je ne suis pas de ces hommes qui mettent leur vie ou celle d’autrui en danger pour si peu.

— Je ne comprends pas Lorenzo ! Vous nous êtes indispensable. Jamais, ô non jamais, l’idée de vous évincer ne nous est passée par l’esprit ! Quant à vous, della Quercia, je ne vous croyais pas à ce point fou pour manipuler un de vos concurrents afin de l’éliminer. Vous êtes exclu définitivement de la compétition ! »

— Mais... tout cela est une méprise ! L’instigateur est ce vil Brunelleschi !

— Et vous continuez ? Vous diffamez à présent ? Je suis déçu par votre comportement enfantin... Disparaissez, que je ne vous vois plus. »

Della Quercia partit penaud et honteux.

La guilde des lainiers omit de mentionner cette anecdote au public car elle mettai sous un jour peu flatteur le climat d’émulation qui régnait à Florence, et préféra conter que c’était simplement le projet du siennois qui n’avait pas plu au jury.

Ghiberti avait cru della Quercia quand ce dernier vait dit que le fautif était Brunelleschi. Il en était persuadé : seul un homme aussi mesquin était capable de jouer ce type de tour. Ghiberti n’était pas aussi naïf qu’il semblait l’être. Il décida donc de ne pas se laisser déconcentrer par ces bassesses. Il s’impliquerait dans sa tâche autant qu’il le pourrait, y consacrant toutes ses journées, et finirait son oouvre en temps et en heure.

Brunelleschi apprit très vite que le siennois avait été éliminé et comprit que son plan avait échoué. Cependant, il ne perdit pas espoir : ce Lorenzo Ghiberti l’horripilait plus que tout certes, mais son talent n’était certainement pas à la hauteur de la haine qu’il éprouvait pour lui et en conclut qu’il était désormais temps de se consacrer pleinement à son panneau.

Malheureusement, Brunelleschi n’étant pas très croyant, l’évocation du « sacrifice d’Isaac » l’avait troublé. Il dut relire les pages de la Bible concernant cette histoire, tandis que Ghiberti recherchait à rendre son oeuvre réaliste, recherchait la perfection à travers le souci d’équilibre et la recherche du beau-idéal.

Brunelleschi, le texte biblique survolé, se plongea dans la réalisation de croquis. Il voulait à tout prix créer un effet de surprise dans son oeuvre ou tout du moins accentuer l’effet dramatique de la scène. A rechercher tel ou tel effet intéressant, il perdit un temps considérable, et dut se résigner à enfin commencer l’oeuvre même. Il disposa les personnages dans une composition triangulaire dont était exclu l’ange. Il mit en avant sa culture personnelle en intégrant dans son panneau, en tant que valet, « l’homme qui s’ôtait une épine du pied », la copie d’une oeuvre romine du IIIe siècle avant Jésus-Christ ; et représenta l’ange attrapant le bras d’Abraham juste avant qu’il ne commette l’irréparable, alors que le texte biblique ne mentionnait qu’une interpellation. Par ces soucis d’effet, il en oublia la place initiale des personages de l’histoire, et confondit la place de l’âne avec cette du bélier. Mais fut cependant très satisfait de son ouvre...

Ghiberti connaissait ce passage de la Bible depuis sa plus tendre enfance et n’eut aucun mal à représenter fidèlement la scène. Il représenta ses personnages le long d’une diagonale et fit d’Isaac un modèle de perfection humaine : son nu était une référence à l’Antiquité. Il coula son bronze d’une seule pièce alors que Brunelleschi voulut à nouveau innover en coulant son bronze personnage par personnage ce qui lui prit un temps considérable et ce qui risqua de l’empêcher de présenter son oeuvre finie au jury.

Heureusement, ils eurent fini leur labeurtous deux le même jour et se rendirent aux délibérations. Ils apprirent par des commérages sur le PonteVecchio que les projets de tous les autres concurrents n’avaient pas ete retenus et qu’ils étaient par conséquent les deux derniers. Les délibérations se déroulèrent dans l’enceinte du baptistère. Les deux rivaux ne s’adressèrent pas la parole, et ne s’essayèrent à aucun regard. Ils demeurèrent silencieux quoique Brunelleschi brûlait d’impatience intérieurement. Ils présentèrent tous deux leur panneau et les fiches des frais dépensés. Les jurés contemplèrent un à un les deux ceuvres, quelques commentaires satisfaisants purent être entendus par ci par là ; puis le vote débuta. Ils n’étaient pas discrets et on comprit très rapidement qu’il fallait remédier à la situation car les deux artistes paraissaient à égalité bien que les deux ceuvres soient tout à fait différentes : l’une était plus audacieuse, l’autre plus humble et respectueuse du texte biblique. On tendit à Jean de Médicis les notes de frais de chacun des artistes, et c’est ainsi qu’il put déclarer : « Mes chers artistes, malgré votre talent égal par sa grandeur, il a fallu vous départager et notre choix est fait... ». Ghiberti lança un regard méprisant à Brunelleschi tandis que celui-ci esquissait un sourire satisfait. « Le sacrifice d’Isaac par le florentin Lorenzo Ghiberti est retenu. ». Ghiberti était comblé : il était empli de fierté, de gratitude... alors que Brunelleschi pensait qu’il allait bientôt se réveiller de ce cauchemar. Ghiberti, après s’être remis de ses émotions, tendit une main réconciliatrice à Brunelleschi. Celui-ci la serra sous les yeux ébahis des jurés. Tandis qu’ils s’échangeaient une poignee de main, le second s’approcha de l’oreille de Ghiberti et lui murmura : « Ton ébauche n’a été choisie que par ordre purement économique. Tu ne mérites pas ta place mais en bon perdant, je ne te le ferai pas regretter. Cependant, désormais, tu n’auras plus aucune chance face à moi. Rappelle toi toujours qu’il n’y a pas meilleur que Filippo di Ser Brunelleschi Lippi. Mon travail sera toujours, à la hauteur de mon talent, supérieur au tien. Ainsi, si tu bâtis Florence, attends toi à ce que je bâtisse l’Italie. Sur ce, il laissa Ghiberti qui ne s’était pas laissé impressionner par ce discours menaçant, et retourna dans son atelier afin de perfectionner ses techniques en vue de la prochaine compétition qui les opposerait.

Quand la nature crée un homme éminent en un domaine, elle ne le crée généralement pas seul, mais lui suscite en même temps un rival, afin qu’ils puissent profiter mutuellement de leurs talents et de leur émulation. Il ne me reste plus qu’à apposer ma signature : Giorgio Vasari.


(novembre 2009)

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