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Demain je serai marié
Demain je serai marié
par Lucie Corrigan, Victoire Frencia et Sona Kessaria
Je m’appelle Elia Volpi, et en cette année 1906, j’ai acquis le Palais Davanzati à Florence. J’ai toujours été charmé par l’anomalie architecturale qu’est ce palais, mon palais. Je ne souhaiterais jamais être surpris en délit de pédagogie mais la construction et l’organisation de ce palais sont d’une simplicité enfantine. Tout d’abord c‘est un savant mélange entre une tour moyenâgeuse pouvant résister à un siège – quoiqu’en plein cœur de la cité florentine, cela puisse paraître improbable mais on n’est visiblement jamais trop prudent - et une demeure seigneuriale typique du XVème siècle. Le palais est organisé comme une maison marchande avec un entrepôt au sous-sol pour les marchandises et les appartements des propriétaires répartis sur les quatre autres étages. Mais passons à des choses plus intéressantes, il faut m’excuser mais mon métier d’antiquaire prend souvent le dessus et je récite les faits historiques comme un manuel scolaire… Je vais vous conter une fabuleuse découverte que j’ai faite il y a maintenant quelques mois dans l’enceinte de ces murs.
Tandis que je déambulais entre les étages, faisant mon habituel tour du propriétaire et me questionnant sur ma nouvelle vie de châtelain, je butais dans une forme non définie, recouverte d’un vieux drap empoussiéré. Tout en massant mes orteils endoloris, j’ôtais le drap pour découvrir devant moi un large coffre de bois orné de décorations représentant une sorte de cortège sur lequel je ne m’attardais point, largement plus intrigué par ce que je pourrais découvrir dans ce coffre. Le traînant péniblement jusqu’à la lumière du jour offerte par le balcon, je soulevai le couvercle avec la même excitation qu’un petit enfant ouvrant ses cadeaux le jour de Noël. Je découvris avec émerveillement des chutes de tissus décolorés par les siècles, quelques petits carnets ainsi que du matériel d’écriture et le portrait d’une jeune femme. M’asseyant sur le sol de pierre froid de la chambre, j’ouvris un à un les carnets. Ils étaient tous au nom de Boccaccio Adimari. Deux carnets contenaient des relevés de dépenses pour l’année 1497. Le troisième m’interpellait plus, d’un format plus petit, il avait une couverture de cuir rouge vieilli. Je l’ouvris au hasard, tombant sur une entrée de journal de bord.
23 Octobre 1495
Les noces approchent. Je ne sais si je devrais redouter ce moment ou bien l’attendre avec une impatience grandissante. Père m’encourage à me montrer neutre lorsqu’on me questionne vis-à-vis de cet événement. Cependant, ma conscience l’emporte sur ses instructions et je me trouve dans un état d’angoisse constant. Ce n’est pas moi qui me marie, mais toute ma famille. « Nous construisons des alliances » comme le dit si bien père. Oh ma future épouse ! On m’a donné votre portrait aujourd’hui. Je souhaiterais tellement me sentir capable de vous aimer un jour, on ne cesse de me vanter vos qualités. Le monde qui m’entoure est en ébullition, mon entourage fait des projets à ma place. On me dicte ma conduite et même mon épouse a été sélectionnée pour ce que sa famille possède et non pas pour ce qu’elle possède en tant qu’être humain. Je me sens contraint à accomplir toutes les ambitions que mon père a définies pour moi. Je n’ai personne à qui me confier puisque tous m’ordonneraient de faire ce qui a déjà été décidé à mon sujet. Oh ! Lisa Ricasoli ! comme j’aimerais vous connaître réellement. J’aimerais ne pas avoir l’impression qu’on essaie de vous vendre dès qu’on me parle de vous. Dieu sait que le mariage n’est pas une vulgaire transaction.
5 Novembre 1495
Je suppose que je ne peux plus reculer. Demain je serai marié. Depuis la dernière fois que j’ai écrit, j’ai pu rencontrer ma future épouse une seule fois. Rencontrer n’est pas le mot juste. Nous étions entourés de plusieurs membres de nos familles respectives et étions tous deux trop intimidés pour souffler mot. Même si je ne peux nier le fait que Lisa est une jeune fille plus que jolie, je me questionne encore largement sur le fait de devoir passer le restant de mes jours avec une personne que je ne connais point. Père se vante ouvertement à qui veut l’entendre de cette union prochaine ce qui ne fait qu’augmenter la peur grandissante que j’ai de la journée qui vient. La cérémonie se déroulera à Santa Maria del Fiore et nous nous rendrons à pied de l’église au Palais Davanzati. J’ai l’impression qu’une nuit bercée d’insomnies m’attend. Je suis terrorisé à l’idée de me dire que demain je deviendrai chef de ma propre famille. La famille Adimari-Ricasoli. Cela me semble si irréel…
7 Novembre 1495
Enfin seul. C’est la première fois que j’arrive à m’isoler un peu afin de m’entendre penser. Je suis envahi par des visages inconnus me déclarant que la cérémonie fut sublime. A vrai dire, je ne sais s’ils essaient d’être flatteurs ou bien s’ils disent la vérité. J’étais tellement perdu dans mes pensées que j’en ai presque oublié de dire « Je le veux ». Mon épouse est, à vrai dire, une bien charmante jeune fille. Quoique nous soyons tous deux dans le plus grand embarras dès que nous nous retrouvons seuls, père dit que la conversation viendra avec le temps. Je l’espère bien car passer le restant de mes jours sans avoir de conversations constructives me semble être du plus grand ennui.
***
« Elia ! La soupe est prête ! » Une voix stridente me tire de ma lecture. Il est déjà l’heure du souper et je n’ai pas vu les heure défiler. « Elia ! Ca va être froid ! » La même voix hurlante rappelle à mon estomac qu’il est censé crier famine. A contre-cœur, je repose la vie de Boccaccio Adimari dans son coffre en bois et me relève péniblement. Ma soupe et ma femme m’attendent au rez-de-chaussée. J’aurais bien aimé rester au XVème siècle. Mon cerveau d’antiquaire fonctionne à plein régime tandis que je descends les escaliers afin de raconter ma belle découverte.
(octobre 2008)
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