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L’Ombre, par Aurélien Errera
La Nouvelle vague fantastique : Table des matières
L’Ombre
Aurélien Errera
À Paris, il pleuvait. Il pleuvait vraiment beaucoup. J’allais chez un vieil ami d’enfance, qui m’était resté très cher, il était violoniste et poète. J’étais professeur de biologie et chercheur, du moins, jusqu’à ce jour fatal. Nous avions ensemble de longues conversations et de grands désaccords. Il croyait aux êtres surnaturels, aux esprits, tandis que moi je persistais à ne croire que ce que ma raison me garantissait. Ce soir-là, chez lui, je pus enfin être au chaud pendant une petite heure. Après une longue accolade, je rentrai chez moi.
Sur le chemin, je fus surpris de me trouver comme épuisé, tout d’un coup, en me sentant tantôt pris d’un mal de tête, tantôt pris de convulsions qui agitaient mon corps de toutes parts. Que se passait-il ? Je n’étais jamais tombé malade.
Finalement arrivé chez moi, je m’empressai de me coucher, en pensant, ou plutôt en espérant que mon mal diminuerait au cours de la nuit.
Dans mon lit, je fus pris d‘une douleur terrible à la tête, qui vous prend et donne l’impression d’être à demi-mort tellement elle vous submerge. Je décidai alors d’aller faire un tour sur les bords de Seine, dans l’espoir de retrouver ma respiration. Après quelques minutes passées à essayer de contempler ce qui me semble être les plus belles oeuvres de Paris, les ponts, ma douleur semblait se dissoudre un peu.
Soudain, j’entrevis à mes pieds une silhouette noire, dont je pus difficilement distinguer le contour, car elle se fondait dans le macadam de couleur sombre. La fièvre me saisit. Mon mal de tête reprit de plus belle : cela aurait dû être mon ombre mais – croyez-moi ou non – elle ne semblait pas faire les mêmes mouvements que moi. Comme si elle était venue, venue pour moi. Pour me faire douter, et essayer de me faire sombrer dans le doute. Je fis un pas à gauche, l’ombre paraissait se coiffer. Je me baissai tout d’un coup, mais l’ombre restait immobile, semblant me regarder comme on regarderait avec stupeur un parfait inconnu qui ne parle pas la même langue mais essaie de vous expliquer quelque chose et persiste.
Tâchant de me convaincre que ce n’était qu’une illusion, ou plutôt que mon esprit fatigué me jouait un tour, je continuai ma promenade, troublé par cette apparition.
Tout à coup, je fus pris d’un inexplicable mal de ventre, qui, ajouté à mes autres douleurs, me donna l’impression de souffrir de toutes parts, à tel point que, pris d’un spasme, je tombai à la renverse. Sans voix. Éberlué, bouleversé, angoissé par la dimension que cette affaire prenait. Ce dessin sur le sol, ou cet “esprit”, essayait à coup sûr de me faire penser différemment : de me montrer, ou plutôt de me prouver qu’ “ils” existent. Que tous les spectres, que tous les fantômes, que toutes les créatures fantastiques qui hantent les nuits des enfants, et parfois des adultes existent, en fait.
Assez de discours. J’avais en tête toutes les histoires de zombies à vous glacer le sang, dont les parents assurent qu’elles sont imaginaires, et que mon bel esprit rationnel avait toujours ignorées mais jamais, pourtant, je ne m’étais senti aussi près d’y croire. Je décidai immédiatement de rentrer chez moi.
Soudain...
Mais non. Rien. Je m’étais retourné, sur les bords de Seine... Qui étaient déserts. Je n’avais rien vu derrière moi.
Pourtant, j’avais senti une présence...
Le lendemain, reposé, mais pas pour autant rassuré, je décidai de vérifier si ma folie d’hier persistait. Non sans quelque appréhension, j’entrai dans ma salle à manger, fermai tous les volets et éteignis toutes les lumières, en prenant soin de me laisser une lampe à portée de main. Terrorisé, je me dis qu’il était inutile de réfléchir davantage, et allumai l’interrupteur d’un coup sec. Je ne voyais rien, n’entendais rien, mais il se produisit autour de moi quelque chose de très étrange : il régna soudain dans la pièce une atmosphère tendue et oppressante.
Mon ombre normale, naturelle, était là, à mes côtés. Je fis un pas à gauche, mon ombre m’accompagna.
Je me baissai tout d’un coup, mon ombre fit de même. En revanche, je n’apercevais pas la silhouette noire. Je n’apercevais rien qui s’y apparente. Cependant, aurai-je pu affirmer que j’étais seul dans cette pièce ?
Je ne pouvais pas dire que personne n’était là, uniquement parce que je ne voyais personne. Je le savais, ce n’était pas une preuve. Car cette présence, je jure que je la sentais.
***
Ces expériences se réitérèrent de nombreuses fois. Des mois, et des mois. Des années, oui. Je vivais tantôt avec la silhouette noire, tantôt avec mon ombre naturelle. Dans tous les cas, je n’étais plus celui que j’étais avant cette mémorable promenade sur les quais de Seine.
J’ai le sentiment que la silhouette noire fait de moi ce qu’elle veut : lorsqu’elle apparaît, elle me fait perdre la raison, me fait souffrir physiquement et m’interroger sur mon état mental. En revanche, le fait que je ne la voie pas à chaque fois qu’il y a de la lumière et de l’ombre ne me rend pas pour autant rassuré. Le caractère irrégulier de cette apparition est un tourment supplémentaire. Je ne vois aucune logique à cet étrange manège. J’ai perdu mon bel esprit rationnel qui fondait ma personnalité, et avait forgé ma réputation. Je suis devenu comme l’ombre de moi-même. Autrefois j’expliquais, je raisonnais, je vivais, aujourd’hui j’essaie vainement d’expliquer ce qui s’est passé et ce qui fut le tournant de ma vie, les mots me manquent.
Je sens une présence.
Et vous souhaite de ne jamais la sentir.
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