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Colodiet, François / La République et sa représentation
La République et sa représentation, 1792-2000
Le programme de troisième propose d’étudier les valeurs, principes et symboles de la République. La République française a ses symboles : une devise (Liberté, égalité, fraternité), un hymne national (la Marseillaise) un drapeau, une effigie (Marianne) ; les manuels d’éducation civique consacrent généralement une double page où l’on trouve les documents permettant de rappeler l’histoire et le sens du drapeau tricolore, les paroles de la Marseillaise ou encore l’origine du buste de Marianne. C’est autour de cette dernière allégorie que nous proposons une leçon qui permettra en classe de troisième de réviser avec les élèves les dates du programme de l’année en rapport avec les différentes Républiques et certains événements du programme de Quatrième. La séquence proposée essaye de montrer que l’allégorie républicaine n’est pas un archétype immuable mais dépend, au contraire, des événements qui l’ont produite et que la lecture iconographique attentive permet de reconstituer.
Les origines du type iconographique
Comment représenter une abstraction ?
La leçon doit commencer par une définition de la notion de République ; il est aussi indispensable de reprendre avec les élèves la chronologie des cinq Républiques puisque les fiches élèves proposent d’étudier des modèles en rapport avec quatre d’entre elles, ceci peut être fait au début de la leçon ou bien à l’occasion des différents documents présentés dans l’ordre chronologique. Définir la République suppose de nommer une abstraction ce qui présente pour les élèves un effort d’abstraction parfois difficile ; or, il s’avère que l’histoire de la République connaît la même difficulté ; la résoudre a été le rôle de la représentation allégorique ; on peut parler d’une véritable pédagogie républicaine à laquelle les grands noms de la peinture et de la sculpture ont parfois été associés : David, Gros, Vien, Dalou ou Inajalbert ont participé à cet effort de mise en forme des représentations. La monarchie bénéficiait de la personne du roi qui rendait sensible la dignité et la sacralité de la fonction ; « le roi te touche , Dieu te guérit » disait-on le jour du sacre lorsque le nouveau souverain touchait les écrouelles, nulle abstraction dans l’usage de cette fonction thaumaturge efficiente ; de multiples symboles étaient associés au roi et à la fin de l’Ancien Régime, le portrait en pied du souverain tel que Hyacinthe Rigaud l’a défini pour Louis XIV reprend de façon didactique tous les attributs régaliens utilisés lors du sacre. [1]
En 1792, pour dire la République il fallait inventer une allégorie
Ce travail de formalisation iconographique a pris un siècle. La République est d’abord un régime, c’est à dire une façon d’organiser le pouvoir ou plutôt les pouvoirs ; ceux-ci deviennent la « chose publique » et on ne se privera pas de faire appel au latin pour expliquer l’étymologie du mot : res publica souligne d’ailleurs la difficulté : « res » est abstrait , la « chose » est une façon de ne pas nommer ou plutôt de laisser le concept se remplir ; en fait on sait que des Républiques existaient sous l’Ancien Régime. Quelles soient de la péninsule italique comme Venise, Gênes ou Florence jusqu’au XVIe siècle, de l’Europe du Nord calviniste, comme aux Provinces Unies, ou éphémère comme celle de Cromwell, elles étaient toutes oligarchiques et ne répondaient en aucune manière à l’idéal que la Révolution commence d’inventer. La République, pour exister, doit se munir des vertus que les écrivains politiques des Lumières avaient défini afin que le droit naturel des personnes soit respecté ; ils n’avaient pas précisé si c’était le rôle d’un roi que de les garantir ; la trahison de Louis XVI eut pour conséquence que le vide du pouvoir laissât, au lendemain de Valmy, la place à l’abstraction républicaine .
Le cortège républicain
Une œuvre de circonstance
La première des œuvres proposées est un dessin de Vien, à l’encre noire ombré de lavis gris et brun et rehaussé de gouache blanche. Daté de 1794, le peintre l’avait envoyé le 1er messidor an II (19 juin 1794) au comité d’instruction publique, on insistera sur ce point qui souligne la volonté pédagogique de la démarche. Il s’agissait en fait de répondre au concours de l’An II mais Vien ne dépose son travail qu’après la clôture du dépôt des œuvres (le 20 Prairial An II (le 8 juin 1794) ; il s’en excuse auprès du comité :
« J’ai essayé à soixante-dix-huit ans de tracer le triomphe de la République ; mais je n’ai pu terminer mon dessin dans les délais prescrits et je vous en donne donc connaissance, sans aucune prétention, mais seulement pour savoir de vous si je puis l’exposer. C’est un hommage que je m’empresse de rendre à la Loi et un exemple, que sur mes vieux ans, je crois devoir donner à la jeunesse. Salut et Fraternité. » [2]
On relève en ces temps troublés le souci de donner des gages d’attachement républicains aux terribles Comités qui orientaient toute la production picturale sous l’autorité de David, qui dit-on, aurait poussé Vien a fournir cette œuvre de circonstance comme preuve de son républicanisme. En fait lorsque Vien adresse son dessin, le gouvernement terroriste de Salut Public et la dictature de Robespierre touchent à leur fin (le 9 Thermidor , 27 juillet 1794).
• Joseph-Marie Vien, Le Triomphe de la République ou Le Triomphe de la Constitution de l’An I, 1794. Musée du Louvre, Paris
Une composition classique : un char qui vient de passer un arc de triomphe romain, un palais dorique, les toges qui habillent dieux et allégories, le génie ailé qui vole au dessus de l’ensemble, tout évoque le néo-classicisme en vogue depuis le milieu du XVIIIe s et dont Vien est un des représentants avec David ; plus précisément la scène reprend les cortège des triomphe des généraux romains vainqueurs. La République tirée sur le char est difficile à identifier en raison de l’absence des attributs habituels. Dans cette œuvre de peu postérieure à la proclamation du nouveau régime tout se passe comme si le personnage central n’existait qu’à travers les allégories qui l’entourent. Ce sont donc celles-ci qui renseignent sur ses qualités. A l’avant du cortège, on identifie facilement un héros : Hercule, vêtu de la peau du lion de Némée et portant la massue ; en ces temps de guerre contre la Révolution c’est à lui qu’il appartient de tirer le char républicain il incarne la force accompagné de deux lions ; à ses côtés illustrant la même idée, on trouve Arès, dieu de la guerre. Ils précèdent la République qui, pacifique, tient d’une main la branche d’olivier de la paix, de l’autre la corne d’abondance de la prospérité ; le message est clair : qu’on laisse la Révolution triompher et la République apportera ses bienfaits. Derrière l’allégorie deux personnages encore distincts d’elle mais qui seront appelés à se fondre en elle : à sa gauche, portant le niveau de maçon, l’égalité, à sa droite, l’union nationale – ou la fraternité – identifiable au faisceau de baguettes ; ces deux attributs, le niveau et le faisceau, sont abondamment utilisés depuis le début de la Révolution pour illustrer les principes qui guident la Déclaration de droits de l’homme. D’autres éléments plus difficiles à identifier par les élèves peuvent être donnés en explication : agenouillée sur le passage du char, on identifie l’allégorie de la Nature accompagnée de ses enfants ; à sa gauche, un paysan idéalisé portant sa bêche et surtout le bonnet phrygien appelé, plus tard, à coiffer l’allégorie républicaine ; l’esprit des Lumières est présent avec le génie de la raison qui derrière le char semble expliquer à l’homme du peuple, le sens du cortège ; tandis qu’un autre génie ailé, la Renommée embouchant une trompette, survole la composition ; on remarque au passage que cette multitude de personnages mythologiques sont directement empruntés aux modèles iconographiques classiques dont on trouve le modèle dans la voûte peinte par Charles Lebrun pour la galerie des glaces à Versailles [3]. Au total c’est une allégorie républicaine définie « en creux » que propose Vien : la régime n’existe qu’accompagné d’allégories qui lui sont associées ; les représentations qui suivront se réduiront à un personnage unique portant elle-même les attributs républicains.
La définition d’un type allégorique pour la République
La mise en forme d’un décret
• Antoine Jean Gros, Figure allégorique de la République, 1795. Musée national du Château de Versaille
Chronologiquement très proche : 1795, l’œuvre de Antoine-Jean Gros a été peinte pour la république génoise devenue « République sœur » de la France sous le Directoire. L’œuvre est l’illustration littérale du décret de la Convention trois ans auparavant : on retrouve la tunique courte « à l’antique » et le casque de Minerve surmonté d’un cimier, le faisceau, la pique et le bonnet phrygien « de la Liberté » qui sont des symboles utilisés par les sans-culottes mais adoucis par le fait que la pique est portée pointe en bas, ce qui, dans le contexte du Directoire, semble signifier la volonté de faire la paix avec les Etats coalisés contre la France. Seul le niveau d’égalité a été ajouté. La principale différence avec le dessin de Vien est que la République est désormais représentée seule débarrassée des nombreuses autres allégories qui l’entouraient mais s’en étant approprié les attributs. Il faut souligner que ce décret de 1792 est le seul a fixer les canons esthétiques de l’effigie républicaine, aucun autre texte plus moderne n’a été rédigé, pas plus qu’il n’y a aujourd’hui de « buste officiel » de Marianne ; la créativité a toujours été de mise ce qui fait l’intérêt de l’étude des allégories républicaines.
« La grande nation »
L’aspect massif et imposant du personnage fait que cette œuvre a toujours été tenue pour mineure dans la production de ce peintre appelé à la gloire sous l’Empire. En fait il s’agit d’une œuvre perdue, le tableau de petit format qui nous reste est une copie d’une grande toile qui justifiait mieux la lourdeur et le hiératisme du sujet. On fera noter le choix de la contre-plongée et l’horizon écrasé qui accentue le gigantisme du personnage et, par là, l’idée de l’universalisme du message républicain à l’heure de l’hégémonie française sur une partie de l’Europe. La France est alors la grande nation marraine de nombreuses « République-sœurs ».
République incarnée
La république démocratique et fraternelle
• Frédéric Sorrieu, Le suffrage universel, 1848. Musée Carnavalet, Paris
Vient ensuite Le suffrage universel de Frédéric Sorrieu : sa richesse iconographique permet d’évoquer les aspects les plus importants de l’éphémère Seconde République ; on y identifiera l’urne électorale destinée à glisser les bulletins de vote qui étaient à l’époque rédigés manuscrits par l’électeur (le suffrage universel n’est alors que masculin et à partir de 21 ans mais libéré des condition de cens qui avaient réduit le corps électoral sous la Restauration et la monarchie de Juillet [4]) ; la République est ici représentée associée à plusieurs attributs : le bonnet et la tunique rouges qui soulignent son ancrage à gauche ; le flambeau allumé, symbole des lumières qu’elle apporte et du progrès qu’elle promet (constatons que l’horizon du tableau est rempli de trains et de navires à vapeur et que la foule qui rejoint la République sort d’une gare de chemin de fer). À ses pieds, les tables des droits de l’homme, une presse d’imprimeur, symbole de cette liberté d’expression refusée qui est une des causes de l’échec de la monarchie de Juillet [5] et la corne d’abondance déversant des fruits, motif ancien, promesse de prospérité. Derrière elle, l’arbre de la liberté décoré de drapeaux tricolores rappelle une tradition qui prend naissance dès 1789. Appuyé contre le tronc, le poète Lamartine, l’un des députés qui forment le gouvernement provisoire issu de l’émeute du 14 février 1830. C’est Lamartine qui imposa le drapeau tricolore face aux manifestants socialistes qui réclamaient un drapeau rouge. « Citoyens, le drapeau rouge n’a jamais fait que le tour du Champs de Mars, traîné dans le sang du peuple ; le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et le liberté de la patrie ! »
La République appelle la nation à la rejoindre
La particularité de l’œuvre est d’associer ici le peuple au régime : quatre cortèges rejoignent la République, trois d’entre eux lui sont favorables et l’acclament, ils sont composés d’hommes du peuple, mais aussi d’un officier et de bourgeois en redingote : l’idée centrale de la fraternité est désormais associée à la devise républicaine. L’homme en blouse bleue à la droite de la République est un ouvrier représentant de ces nouvelles couches de population qui, à Paris, ont joué un rôle central dans l’insurrection de février ; il s’appuie cependant sur les mancherons d’une charrue, instrument de travail mais aussi signe que le régime veut se concilier la majorité paysanne de la population. Le cortège à droite du tableau manifeste en revanche clairement sont hostilité au régime : on y identifiera Thiers, l’ancien ministre de Louis-Philippe (de petite taille, avec les lunettes rondes ), des aristocrates, un membre du clergé...
Le triomphe républicain
• Jean-Antoine Injalbert, Buste de Marianne, 1889. Pavillon Gabrielle, Charenton-le-Pont
La république baptisée !
Ce buste est l’un des plus fréquents que l’on trouve dans les bâtiments publics de la Troisième République. Injalbert l’a exécuté à l’occasion du centenaire de la Révolution française ; il revient en effet à la Troisième République d’avoir définitivement personnifié, en la nommant, la figure républicaine. L’origine du prénom de Marianne est sujet à diverses interprétations ; populaire, associé à des filles de mœurs légères, Marianne aurait, par dérision, désigné le régime pour ses adversaires. M. Aghulon et P. Bonte identifient la plus ancienne mention de ce prénom associé à l’idée républicaine dans une chanson occitane où la France révolutionnaire est appelée « Marianno » par un certain Guillaume Lavabre, cordonnier à Puylaurens (Tarn). Popularisé par les sociétés secrètes républicaines occitanes du début du XIXe siècle, ce nom de code aurait finalement était adopté à l’échelle de la France entière. La multiplication des bustes de Marianne à bonnet phrygien sous la Troisième République est à rapprocher de deux faits propres aux débuts de ce régime : en 1875, la forme républicaine du régime semble assurée après l’échec de la restauration monarchique, et on parle de « République » dans l’amendement Wallon qui définit la durée du mandat présidentiel [6]. Le second fait est l’obligation de 1884, faite à toute les communes, de se doter d’une mairie ; Marianne sera donc le buste qui présidera dans la salle du conseil.
Marianne en buste
À la différence des allégories étudiées précédemment, le régime s’incarne ici dans un simple buste [7], forme de sculpture que l’antiquité romaine réservait aux ancêtres défunts d’une famille, puis, plus tard, aux hommes illustres (empereurs, généraux victorieux). Le buste sous-entend la grandeur puisqu’il n’évoque que la partie la plus noble du corps – la tête –, mais aussi la simplicité. Dans le cas de Marianne, la femme qui l’incarne est dotée d’une poitrine généreuse, symbole de fertilité et de prospérité, certains modèles laissent d’ailleurs voir un des seins dénudé. Le bonnet phrygien a déjà été identifié sur les allégories précédentes ; il devient en fait systématique sous la Troisième République. Entre 1849 et 1871, le bonnet phrygien est considéré comme un symbole révolutionnaire subversif, Thiers le fera même interdire après la commune de Paris : « Un emblème séditieux, synonyme d’anarchie et rappelant de tristes souvenirs ». Les sculpteurs préfèrent alors couronner leur allégorie de blés ou de lauriers . Dans les années quatre-vingt, le bonnet rouge perd progressivement son caractère partisan. La cuirasse sous la tunique est ornée au col d’une tête de Gorgone, être fantastique réputé pétrifier ses ennemis d’un simple regard ; ce détail est là pour rappeler que son pacifisme ne la laisse pas sans vigilance martiale. Les lettres « RF » lèvent toute ambiguïté sur l’identité de la femme et on comprend que l’évolution est accomplie ; triomphante depuis la fin des années 1870, enseignée aux enfants du peuple depuis les lois scolaires de Jules Ferry, la République n’a plus besoin que d’un simple buste et d’un prénom familier pour être reconnue des Français.
Marianne et le combat républicain
La République n’est pas la révolution sociale !
La dernière partie du cours est destinée à montrer que, désormais victorieuse, la République s’assimile progressivement au peuple français, par l’image, notamment dans des contextes polémiques ; les atteintes qu’on lui fait sont faites aux Français ;
Ni extrême droite, ni extrême gauche : l’idéal républicain entre les deux guerres
• Paul Ordner, Le nouveau drapeau tricolore, Le Rire, 18/7/1936
On a choisi une caricature du 18 juillet 1936 : victoire du Front populaire en mai-juin 1936, composition de cette coalition électorale qui inclut des communistes aux côtés des radicaux et des socialistes, menace fasciste à laquelle elle répond après les évènements du 6 février 1934. Le 14 juillet 1936, quatre jours avant la publication de ce numéro du Rire, sur les Champs Elysées, lors de la fête nationale, des drapeaux rouges avaient aussi défilé provoquant le scandale chez ceux qui redoutaient une République rouge. Marianne apparaît ligotée par un drapeau tricolore dont la dernière couleur, le rouge, symbole de la Révolution bolchévique, s’est démesurément allongé. La légende « Au secours , je n’avais pas voulu çà ! » rappelle le climat de grèves et d’occupation d’usines qui, le mois précédent, a laissé craindre la Révolution sociale chez les possédants et les modérés ; le message de la caricature est donc clair : la République est menacée par les rouges, c’est à dire par les communistes qui soutiennent, sans y participer, le gouvernement de Front Populaire ; s’exprime ici le même refus qui fut jadis celui de Lamartine : la République refuse d’être assimilée à la révolution sociale, elle réclame la liberté et la justice mais dans le respect de l’ordre social.
Marianne émancipée sous la Cinquième République
Mai 1968 : les dernières Bastilles ?
• Jean Effel, Pas de rectangle blanc pour un peuple adulte, affiche, juin 1968.
Cette fois-ci le document appartient à la période de Mai 1968. Il s’agit d’une caricature de Jean Eiffel ; la révolution de mai a été féconde en affiches et dessins de presse qui attaquaient avec virulence et parfois violence le pouvoir en place. Le thème est encore une fois celui de la liberté d’expression remise en cause par la main mise de l’exécutif sur le nouveau média qu’est devenu la télévision à la fin des années soixante. Le monopole de l’Etat à travers l’Office de la radio-télévision française crée en 1964 et plus précisément l’usage qu’en fait le Général de Gaulle qui considère la petite lucarne comme un média à son service et destiné à faire contrepoids à une presse qu’il juge lui être défavorable (souvenons-nous des fameuses conférences de presse du Général où les journalistes étaient priés de poser les questions qu’on leur avait préparé). À la même époque apparaît le rectangle blanc, avertissement de la censure au public et symbole d’un ordre moral qui n’a pas disparu et dont sont victimes certaines œuvres jugées subversives.
Une Marianne contestataire
La Marianne d’Effel est jeune, porte les cheveux ébouriffés sous le bonnet ; elle incarne la jeunesse, à l‘origine de la contestation en 1968. Marianne jeune, mais qui revendique de devenir adulte au sens politique, c’est la signification du carré blanc qui la bâillonne (on se souvient de cette autre affiche qui monter un jeune identiquement bâillonné par l’ombre tutélaire du général accompagné du mot « Sois jeune et tais-toi ! ») Années soixante : moralisme, absence de liberté sexuelle, droit de vote à 21 ans seulement , société encore patriarcale (le code civil de Napoléon confère encore au père le rôle de chef de famille). Un homme âgé incarne tout cela : le général de Gaulle. Une fois de plus, Marianne s’identifie pleinement au peuple français (le mot d’ordre de la caricature fait bien parler le peuple qui est bâillonné), celui-ci demande au père symbolique (le président de la République ) son émancipation politique. L’allégorie de Marianne défend donc ici le principe de la liberté d’expression et d’information.
Marianne aujourd’hui
Marianne personnifiée ou anonyme ? [8]
• Alain Aslan, Marianne sous les traits de Brigitte Bardot, 1969
En 1969, le sculpteur Alain Gourdon, dit Aslan, rompt avec la tradition de l’anonymat des Mariannes pour lui prêter les traits de celle qui dans la décennie qui s’achève a incarné l’insolence et la liberté des mœurs. Brigitte Bardot, actrice entourée d’un parfum de scandale pour ses frasques amoureuses et pour certains de ses rôles (« Et Dieu créa la femme » de Roger Vadim), connaît bientôt un large succès auprès de certaines municipalités. D’autres, à l’inverse, s’en offusquent. (M. Aghulon rapporte que l’un d’entre eux aurait objecté au choix de ce nouveau buste « vous me voyez recommander le devoir de fidélité sous l’œil de B.B ? » ) En 1978, Aslan renouvelle l’expérience avec cette fois-ci pour modèle la chanteuse Mireille Mathieu ; le succès est moindre. En 1985 c’est à Catherine Deneuve, sous le ciseau de Marielle Polska, d’incarner la République. La Marianne de l’An 2000 sera Laetitia Casta – jusqu’à ce que certains s’avisent que l’actrice qui a décidé de se domicilier à Londres pour payer moins d’impôts en France incarne bien mal les vertus civiques qu’on attend du citoyen… Le procédé de starisation de Marianne est en cours et il est évident qu’en s’incarnant, Marianne devient tributaire de la personnalité qui lui a prêté sa plastique, elle risque aussi de perdre son sens universel ; mais à l’opposé, on signale de nouvelles Marianne anonymes, dont les modèles sont les lauréates de concours locaux où posent des jeunes filles du pays. La tradition populaire est ici mise en avant ; Marianne est d’abord une fille du peuple.
Le regain de la tradition républicaine ?
Marianne n’est plus contestée aujourd’hui (ce dossier a volontairement exclu les aspects polémiques dont la figure républicaine a été l’enjeu) mais dans leur ouvrage consacré à l’iconographie de Marianne, les auteurs notent que désormais, dans de petites communes rurales, le buste de Marianne incarne parfois un particularisme local associé à la défense des droits que les citoyens jugent bafoués par le pouvoir central. Dans ce cas, on est loin des représentations médiatiques centrées autour des stars ; nous sommes plutôt dans une démocratie de proximité qui révèle, à l’échelon municipal, la force toujours associée à cette image d’une République que certains jugent menacée.
Paru dans L’École des lettres, 5, 2003. (Article remanié.)
[1] Portrait en pied de 1701 réalisé pour Philipe V d’Espagne le petit-fils de Louis XIV.
[2] Arch. Louvre, X, Salon.
[3] On pense notamment « au passage du Rhin par Louis XIV en présence de ses ennemis », accompagné d’Hercule, le souverain est survolé par les allégories de la victoire de la Gloire et les trompettes de la renommée le suivent.
[4] En réalité les domestiques continuaient d’être exclus du suffrage car on considérait que leur situation ancillaire influence leur choix.
[5] Les lois de 1835 sur la presse aggrave les peines encourues par la presse républicaine ou satirique.
[6] Cet amendement qui mentionne incidemment le mot de « République », peut être considéré comme l’acte de naissance de la troisième République.
[7] Pour ne pas entrer dans des considérations érudites, on ne mentionne pas la tradition des bustes qui existe en fait dès le début de la Révolution de 1789 ; mais c’est bien sous la Troisième République que se multiplient ce type de sculpture sans pour autant négliger des œuvres monumentales en pied pour les places ou les fontaines.
[8] Voir, sous la direction de J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, La France d’un siècle à l’autre, 1914-200, Hachette Littératures 1999, l’article « La télévision » de Marc Martin.
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