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Hommage de Pierre de Panafieu

Article du 2 mars 2015, publié par PO (modifié le 2 mars 2015 et consulté 2172 fois).

Hommage de Pierre de Panafieu
le 16 mai 2014 en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas

Nous partageons tous ici, un immense trésor : la chance d’avoir bénéficié de la précieuse attention de Georges Hacquard.

Il nous en imposait quand nous étions petits, et bien plus tard, par sa haute stature, sa forte et belle voix à la pointe d’accent toulousain, son menton volontaire, son port altier… Georges Hacquard était un patricien, au sens romain du terme.

Les combats qu’il a menés, à la tête de l’École, et ailleurs, ont été nombreux et souvent difficiles. Ses premières années de direction ont vu liguée contre lui une partie du conseil d’administration au point qu’il faillit être démis. Alors que la force institutionnelle contestait les options fondamentales qu’il mettait en œuvre, il retourna la situation avec cette conviction intime qu’il était, lui seul, le dépositaire du trésor pédagogique et éducatif que ses lointains prédécesseurs qu’il admirait tant, Breunig, le père Beck… lui avaient indirectement légué et qu’il lui appartenait de le revivifier. S’il respectait les opinions de qui n’était pas de son avis, il abhorrait les pusillanimes, les versatiles, ceux qui épousaient les idées du dernier orateur.

Il savait imposer ses certitudes en matière d’éducation, même – et surtout ! –, devant les autorités.

Dans ses interviews comme dans ses livres, dans les réunions qu’il animait ou auxquelles il participait, il ne laissait aucune place au doute.

Il aimait trancher, prendre des décisions, diriger.

Au moment le plus tragique, qui n’a pas été ébloui par la force qu’il mit à vivre quand le terrible malheur de perdre Juliette s’abattit sur lui. Cette blessure intime n’a jamais cicatrisé au fond de son âme, mais nous le vîmes revenir à la vie depuis l’abîme du désespoir.

Pourtant, cette force de caractère, cette détermination dans la conduite de ses entreprises et dans l’épreuve, cette certitude d’agir dans le droit chemin ne sont pas les marques d’une personnalité claquemurée dans ses convictions, isolée des autres par l’évidence de sa supériorité.

Qu’aurait été Georges sans Juliette ? Sans Jean-Pierre ? Sans Odette ? Sans sa merveilleuse famille ? Sans Marcel, sans ses élèves qu’il appelait « mes enfants », et sans tous les professeurs et les éducateurs qui ont fait avec lui, grâce à lui, l’École alsacienne que nous aimons.

Car cet homme avait le don rare de bonifier ceux et celles qui l’ont accompagné.

La force de Georges était le partage.

Partage de la culture, de cette culture antique qu’il nous rendit familière, tant par son Guide romain que par le voyage à Rome que nous sommes si nombreux ici à garder précieusement en mémoire. Voyage qui vient de s’achever hier et où tous les participants lui ont rendu hommage sous le soleil du théâtre d’Ostie.

Partage de cette culture et de ces valeurs humanistes qu’il chérissait et qu’il incarnait.

Partage de la musique, quand il se mettait impromptu au piano et nous enchantait par l’allégresse de son jeu.

Partage de l’ambition, non pas celle des carriéristes, mais celle du dépassement de soi dans la voie unique que chacun a pu emprunter grâce à ses conseils et ses encouragements.

Partage du rire, de la complicité, de la joie de vivre, ensemble, la réalisation des projets qu’il savait rendre communs.

Partage de son engagement pour une pédagogie qui émancipe l’enfant grâce à la confiance qui lui est donnée par ses maîtres, grâce à ces voyages et ces échanges, grâce au théâtre et à la musique ; partage encore dans le chant choral, dans la défense de la culture occitane… je m’arrête là, j’ai promis d’être bref. Je crains ce haussement d’épaule si caractéristique qui indiquait chez Georges l’impatience quand le temps lui paraissait trop long.

Aussi, ce que nous avons en partage aujourd’hui et pour toujours, c’est la conviction que, malgré nos incertitudes et nos faiblesses, notre cheminement à ses côtés nous a rendus meilleurs. Et la seule consolation qui nous reste, outre la somme précieuse de nos souvenirs, est la certitude que nous marcherons encore longtemps dans ses pas.


Un bel exemple à suivre

Il me revient, en qualité d’indirect successeur, d’évoquer la place de Georges Hacquard dans l’histoire de notre institution.

Georges Hacquard ne m’a jamais donné de cours sur l’histoire de l’École. Il semblait pour lui que tous les membres de cette institution étaient naturellement baignés dans son histoire, dans ses valeurs, dans sa tradition. Inutile à ses yeux d’en évoquer ex-catherda les heures glorieuses ou sombres.

Pourtant, au détour d’une conversation, une anecdote, une image, un événement faisait jaillir de sa mémoire un monde à la fois révolu et si proche.

Un jour, il me dit que, lorsqu’il arriva à l’École, en 1945, on l’appelait l’École balsacienne, tant elle resemblait à la pension Vauquer du Père Goriot. Je cite Balzac : « Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres ».

Belle, et vieille, endormie, que cette école quand le jeune professeur y arrive. Pourtant, c’est le hasard qui lui fit quitter Roanne pour Paris, et non l’attraction qu’aurait pu exercer l’École alsacienne sur un pédagogue engagé. Il avait simplement noté, chez l’ami qui lui parlait de « son » école, une ferveur inhabituelle dans ce genre d’évocation. L’introduction auprès du directeur de l’école, Jean Néel, est assurée par Henri Adam, président des anciens élèves qui dit du « jeune Hacquard » : « Il a beaucoup de dynamisme et est un partisan de l’école mixte. »

Autrement dit, Georges Hacquard est attiré, sans qu’il en soit conscient, par une école qui a depuis soixante-dix ans, mis en œuvre les idées pédagogiques qu’il pratiquait déjà à Roanne. Heureuse rencontre entre une institution et un homme.

Directeur, Georges Hacquard fut un refondateur.

Il a su mieux que quiconque articuler la double nature de l’École : institution privée au service de l’Éducation nationale.

Il a défendu avec toute l’énergie dont il était capable l’autonomie de l’École. Pour lui, l’image de l’établissement scolaire administré, dans lequel le proviseur n’est que l’exécutant de directives venant du rectorat ou du ministère, cette image était un repoussoir absolu.

Mais l’autonomie s’inscrit dans un cadre, celui de l’éducation nationale. La signature du contrat avec l’État, qu’il a défendue au risque de se voir destituer par le conseil d’administration qui y voyait l’assujettissement de l’École à l’État, est à cet égard tout à fait éclairante. Pour lui, l’École restait l’auxiliaire de l’enseignement public, comme les fondateurs de l’École l’avait voulue. Le beau discours de Paul Bert lors de l’inauguration en 1881 des bâtiments Auburtin était bien pour lui l’acte fondateur de cette collaboration. Vous êtes des auxiliaires de l’Université, faisant pour elle des expériences qu’elle ne peut et peut-être ne doit pas tenter elle-même.

« L’Université est comparable à un vaisseau de haut bord, portant, sous pavillon tricolore, l’avenir et l’honneur de la patrie. Quand il s’agit de manœuvrer parmi les hauts-fonds et les récifs des méthodes nouvelles, elle ne saurait s’aventurer, car elle tire beaucoup d’eau, et la responsabilité du commandant est trop grande. Elle a besoin de bateaux-pilotes légers et calant peu, qui peuvent aller partout, tâtant et jetant la sonde, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé le chenal navigable où peut s’engager la grande nef. Voilà l’office que vous avez fait, et – vous pouvez le dire avec orgueil – l’Université vous a suivis. Vous avez, elle et vous, fait votre devoir. (Applaudissements.) Maintenant, les chaloupes exploratrices, quand le chenal est trouvé, le navire les rappelle, les hisse à son bord et reprend ses matelots. (Sourires.) »

« Vous, vous ne voulez pas être hissés, et vous avez raison. »

« Vous voulez encore naviguer librement, et vous avez raison, doublement raison : d’abord, parce que, si l’Université vous doit beaucoup, vous ne lui devez pas grand-chose, car elle ne met guère de bonne grâce à vous fournir vos équipages. Et puis votre voyage n’est pas terminé, vos découvertes ne sont pas finies : vous n’êtes pas au bout de vos progrès, et vous cherchez encore, et vous trouverez encore, et vous chercherez toujours ! »

En signant le contrat au terme d’une longue négociation avec les autorités, il renouait avec ce pacte initial.

Un directeur qui dirige...

« La règle d’or à retenir, écrit-il dans Vers une école idéale, est que le directeur est responsable. Et qu’en tant que tel, il est normal qu’il dirige ».

Très tôt, il porta son attention au cadre architectural de l’École.

Achat de la propriété Besson, doublement du pont des soupirs, réfectoire, bâtiment 3 et bâtiment construit par Philippe Bosseau. Georges Hacquard fut un bâtisseur.

« Personne ne contestera que le caractère d’un homme est profondément marqué par les lieux où il réside. L’école est l’un de ces lieux très importants, dans lequel l’enfant, l’adolescent passe une grande partie de sa vie. L’architecture conçue pour l’usage de l’homme ne peut être un instrument tyrannique ».

Il fut surtout un novateur

Je ne ferai pas la liste des innovations que l’École a entreprises sous sa direction. J’insisterai toutefois sur un point capital à mes yeux. Il a toujours accueilli et porté l’innovation dans ce qu’elle pouvait apporter à l’éducation au sens de l’amélioration de la relation entre les élèves et leurs professeurs et éducateurs. Il ne défendait pas un système fermé, une doctrine pédagogique gravée dans le marbre, pas plus qu’il ne plaçait sa foi dans des techniques toutes puissantes, mais il se montra incroyablement ouvert aux initiatives d’autrui, aux exemples étrangers, comptant sur l’efficace collaboration de Jean Pierre Hammel pour le difficile passage au réel.

...et un meneur d’équipe

Tous les témoignages que nous avons entendus ce soir se rejoignent pour dire quel sens exceptionnel de l’équipe animait Georges Hacquard. Et si nous autres élèves nous plaisions à le peindre en Imperator omnipotent, la réalité était toute autre. Il savait trancher, défendre ses options avec force, mais jamais sans avoir entendu les avis contraires et intégré dans sa réflexion ce qui pouvait lui avoir échappé initialement. Il croyait à la liberté, à une école qui a pour mission de former des hommes et des femmes libres, grâce à des éducateurs eux-même libérés des entraves de la routine et de l’administration.

Enfin, Georges Hacquard nous a laissé une magistrale histoire de l’École. Elle n’a rien d’académique cette histoire, mais elle situe avec une minutie, une honnêteté scrupuleuses, les temps forts et les déboires de notre École. La place centrale dans son récit est toujours réservée aux personnes, bien avant les idées abstraites. Administrateurs, professeurs, membres du personnel, parents d’élèves et élèves sont évoqués avec la même générosité, quelles que soient les périodes.

De même qu’il a su d’instinct, immédiatement en entrant dans ces murs, ce que cette école avait de particulier, il nous a légué ce patrimoine qu’il nous appartient de faire vivre et de développer dans la fidélité à ce qu’elle fut et dans la reconnaissance envers celui qui l’a incarnée de si longues et belles années.


Télécharger ici l’intégralité du numéro spécial des Cahiers de l’École alsacienne, « Hommage à Georges Hacquard ».

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