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Marbeau, Michel / Marie-Antoinette au Grand Palais

Article du 28 janvier 2009, publié par PO (modifié le 13 février 2009 et consulté 941 fois).

C’est dans les deux premières parties du programme d’histoire de quatrième et dans le cinquième de Seconde que la monarchie française du XVIIIe siècle et la Révolution sont étudiées. Le cas de Marie-Antoinette peut être un excellent exemple pour présenter l’une et l’autre de manière vivante.

Curieux destin que celui de cette reine tour à tour populaire puis détestée, éternelle étrangère : « l’Autrichienne » ; éternelle dépensière : « Madame Déficit » ; La Carmagnole en fait l’ennemie du peuple. Comme l’affirme Stefan Zweig dans l’avant-propos de sa biographie romancée parue en 1932, « écrire l’histoire de Marie-Antoinette, c’est reprendre ce procès plus que séculaire, où accusateur et défenseur se contredisent avec violence. Le ton passionné de la discussion vient des accusateurs. Pour atteindre la royauté, la Révolution devait attaquer la reine, et dans la reine la femme. […] On n’épargne à Marie-Antoinette aucune calomnie, on usa de tous les moyens pour la conduire à la guillotine ; journaux, brochures, livres attribuèrent sans hésitation à la « louve autrichienne » tous les vices, toutes les dépravations morales, toutes les perversités. » La « veuve Capet » est comparée aux plus célèbres débauchées de l’histoire que sont Messaline, Agrippine et Frédégonde. Elle est surtout accusée d’intelligence avec l’ennemi et de conspiration contre la sûreté de l’État. À partir de la Restauration, la reine est perçue sous un jour nettement plus favorable, la légende de la reine martyre commence. Le triomphe progressif des Républicains à partir de la fin des années 1870 n’entraîne pas une stigmatisation automatique. Son rôle est minimisé et elle passe pour inconséquente.

Dans son portrait psychologique de la reine, Zweig montre bien que « Marie-Antoinette n’était ni la grande sainte du royalisme ni la grande « grue » de la Révolution, mais un être moyen, une femme en somme ordinaire, pas trop intelligente, pas trop niaise, un être ni de feu, ni de glace, sans inclinaison pour le bien, sans le moindre amour du mal, la femme moyenne d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sans penchant démoniaque, sans soif d’héroïsme, assez peu semblable à une héroïne de tragédie. Mais l’histoire, ce démiurge, n’a nullement besoin d’un personnage central héroïque pour échafauder un drame émouvant. Le tragique ne résulte pas seulement des traits démesurés d’un être, mais encore, à tout moment, de la disproportion qui existe entre un homme et son destin. » Pour Zweig, le destin sait bouleverser ces natures moyennes et « les sortir de leur médiocrité. La vie de Marie-Antoinette en est peut-être un des plus éclatants de l’histoire. » Si la Révolution n’avait pas eu lieu, elle serait restée une figurante. Elle subit la situation. « Cette femme éprouvée, qui n’a jamais eu la curiosité d’elle-même, s’aperçoit enfin avec effroi, au milieu des tourments, de la transformation qui s’opère juste au moment où son pouvoir royal prend fin : elle sent naître en elle quelque chose de grand et de nouveau, qui n’eût pas été concevable sans cette épreuve. […] un pressentiment lui dit que c’est pourtant par la souffrance que pauvre vie restera en exemple à la postérité. Et grâce à cette conscience d’un devoir supérieur à remplir son caractère grandit au-delà de lui-même. »

Il est certain que le destin tragique et la vie de cette reine suscitent encore un fort intérêt. L’exposition qui lui est consacrée et toutes les publications récentes témoignent de cet engouement. Un article du Monde, paru dans le supplément « Argent » du quotidien , révèle que « tout objet labellisé d’une provenance Marie-Antoinette est promis à de beaux prix. » L’antiquaire Bill Pallot précise que « Marie-Antoinette est la provenance numéro un en ventes publiques car les Américains sont fascinés par elle. Elle a eu un goût à la fois à la mode et précurseur. Elle a tout de suite aimé ce qui était riche, beau et précieux. Du coup, un meuble ayant été commandé par la reine fera deux fois plus cher que le même siège avec une provenance Louis XVI. » Certains marchands peu scrupuleux créditent un peu trop facilement leurs objets d’une appartenance à la reine. Il y a bien, depuis quelques années, et le succès du film de Sofia Coppola nous le rappelle, une véritable Marie-Antoinettemania.

L’intérêt de l’exposition du Grand Palais est de présenter une remarquable collection d’objets (plus de 300) ayant un rapport direct avec la reine : peintures et dessins, sculptures, arts décoratifs, livres, brochures, lettres… Cet ensemble est bien mis en scène. Les commissaires de l’exposition ont fait appel aux services du scénographe Robert Carsen, qui a surtout fait ses armes dans les décors d’opéras. Cette scénographie, qui nous replace dans l’ambiance d’un palais ou d’un théâtre, rend la circulation dans l’exposition tout à fait plaisante.

Les œuvres présentées permettent de retracer toute la vie de la reine, depuis la naissance de Maria Antonia Joseph Johanna, quinzième et dernier enfant de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse en 1755, son enfance à la cour d’Autriche, jusqu’à son arrivée à la cour de Versailles en 1770 et la période révolutionnaire qui s’achève sur son exécution le 16 octobre 1793.

L’exposition prend le parti de distinguer trois phases principales : la princesse et dauphine à Vienne puis à la cour de France (175-1774), la reine de France (1774-1785) qui crée des intérieurs raffinés et vit de manière plus libre, autonome à l’égard de la cour dans son cher Petit Trianon. Enfin, commence le temps de la reine décriée (1785-1793), avant même la Révolution par ceux qui entendent déstabiliser le roi (femme débauchée, Affaire du collier,…) puis vient la tourmente révolutionnaire qui lui coûte la vie.

Beaucoup d’œuvres présentées, notamment les peintures (hormis quelques portraits de Mme Vigée Lebrun, comme Marie-Antoinette à la rose ou Marie-Antoinette en grand costume de cour), n’ont qu’un intérêt artistique limité. Elles permettent cependant de bien comprendre ce qu’est la vie d’une princesse ou d’une reine et le rôle pesant de l’étiquette. On peut ainsi être plus tolérant à l’égard d’une jeune femme qui se réfugie dans une vie d’enfant gâtée et insouciante. Le visiteur sera étonné par la richesse et la qualité de la facture des objets présentés. Malgré la bonne scénographie, on ne peut pas toujours se rendre compte de l’effet produit de leur présence dans les pièces du château ou du Petit Trianon. On peut parler pour les arts décoratifs d’un véritable « style Marie-Antoinette » : une ligne pure, sobre, géométrique, mais une décoration très riche, des matériaux précieux. Ses fournisseurs sont les plus prestigieux du moment : les ébénistes Martin Carlin, Jean Henri Riesener, François II Foliot et Georges Jacob, les bijoutiers Charles Auguste Boehmer et Paul Bassenge (concepteurs du fameux « collier de la reine » composé perles et de 540 diamants dont une réplique récente en pierres semi-précieuses est présentée), Manufacture royale de porcelaine de Sèvres… La restauration en cours du Petit Trianon a rendu disponible pour l’exposition les meubles qui le décorent. La dernière partie de l’exposition est une longue salle sombre dont l’espace se réduit de plus en plus (une lame d’échafaud ?), elle prend en compte la période révolutionnaire. Pamphlets (Fureurs utérines de Marie-Antoinette), caricatures (reine ridiculisée ou assimilée à un monstre), lettres manuscrites attribuées à la reine permettent de comprendre que l’issue ne peut être que dramatique. La dernière œuvre présentée est un dessin attribué à Louis David, mais peut-être de la main de Vivant Denon, montre la reine en train d’être conduite au supplice. Elle n’a plus les robes chamarrées d’antan ni de coiffure extravagante. La robe est simple, tout comme le bonnet, sous lequel on perçoit quelques mèches de cheveux négligemment coupés. Humiliée, fatiguée, la reine reste cependant digne.

De nombreuses publications accompagnent cette exposition : nouvelles parutions et rééditions. On retiendra, outre la biographie de Stefan Zweig déjà mentionnée, quatre publications dont la plupart sont signées par Évelyne Lever, chercheur au CNRS et spécialiste de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution, qui a depuis longtemps abordé le personnage de Marie-Antoinette, notamment dans une importante biographie publiée en 1991.

Ceux qui sont fascinés par le personnage, doivent lire le remarquable travail de présentation et d’annotation d’Évelyne Lever de la correspondance de Marie-Antoinette, parue chez Tallandier . C’est un document tout à fait rare. En effet, les princes, les rois ne se livrent que très rarement. Il ne s’agit pas d’un journal mais de lettres, pour la plupart secrètes, avec sa mère l’impératrice Marie-Thérèse, puis avec son frère Joseph II, avec l’ambassadeur Mercy, avec son ami (amant ? on ne sait vraiment) le Suédois Axel de Fersen puis pendant la période révolutionnaire avec ce dernier ou le révolutionnaire Barnave, partisan d’une monarchie constitutionnelle…L’historienne a proposé dans la mesure du possible les réponses des correspondants. Marie-Antoinette n’est certainement pas un écrivain de talent, mais elle manie plutôt bien la langue française, qui n’est pas, rappelons-le, sa langue maternelle. Cette correspondance débute en 1770 lorsqu’elle arrive à la cour de France et s’achève quelques heures avant son exécution dans une émouvante lettre d’adieu à madame Élisabeth, sœur de Louis XVI. Ce document montre son goût peu marqué pour la chose publique et pour le monde qui l’entoure dans toute la première partie de la correspondance, essentiellement avec sa famille autrichienne, qui cherche sans doute à la manipuler à la cour de France. Si l’année 1789 est plutôt décevante et montre bien qu’elle ne perçoit pas les profondes mutations du pays, la correspondance évolue beaucoup à partir de 1790. Là, on observe le cheminement d’une jeune femme jusque là insouciante qui commence se jeter dans l’action politique avec une énergie du désespoir peu commune, elle tente de sauver la monarchie française, échafaude des solutions. Elle dirige une véritable diplomatie secrète, espère convaincre les autres monarchies de lui venir en aide. Son énergie tranche avec celle du roi, qui semble plus résigné. Pour la première fois peut-être le couple paraît uni (emploi très régulièrement d’un « nous » peu utilisé auparavant) dans une période dramatique qui tournera, pour eux, à la tragédie.

Ceux qui recherchent un ouvrage plus général, moins spécifique, tout en étant de grande qualité pourront se reporter sur la biographie fort bien illustrée que le même auteur propose dans la collection « Découvertes Gallimard » . Conformément à l’esprit de la collection, l’ouvrage est très documenté, plaisant à lire et à consulter, l’information sûre.

Dans Marie-Antoinette. Journal d’une reine paru chez Tallandier , Evelyne Lever s’est livrée à un exercice particulier, ce qu’elle appelle « un divertissement d’historien » : imaginer le journal intime de Marie-Antoinette, de son arrivée à la cour de Versailles en 1770 jusqu’à la chute de la monarchie en août 1792. L’auteur n’invente rien et sa parfaite connaissance de la fin de l’Ancien régime, de la reine et de sa manière d’écrire rendent son récit tout à fait crédible, elle peut donc se glisser dans la peau de son personnage et compose ainsi une forme d’autobiographie. L’auteur peut ici s’affranchir des contraintes de l’historien : références, documents, sans jamais trahir la vérité historique.

La seule publication importante dans laquelle Évelyne Lever n’est pas partie prenante est l’imposant catalogue de l’exposition publié sous la direction de Xavier Salmon, qui réunit une équipe de 13 auteurs. Contrairement à certains catalogues qui se contentent de rassembler quelques courts essais d’un côté et les œuvres de l’autre, Xavier Salmon a préféré mener de front les deux. Chaque essai est suivi de quelques œuvres souvent commentées, cette deuxième partie de chaque article donne une épaisseur supplémentaire aux présentations générales. Si l’on retrouve la même perception de la reine que dans les autres ouvrages, le catalogue a l’avantage de proposer cette documentation commentée et d’insister sur les arts, image à l’appui, puisque les œuvres présentées sont toutes parfaitement reproduites, mais aussi les auteurs n’ont pas oublié de proposer des clichés des appartements de Versailles, de Compiègne, de Fontainebleau… qui permettent de mettre parfois les œuvres en situation.

Comme elle ne peut ni ne veut être aux côté de son époux pour gérer les affaires du pays, elle s’approprie le domaine des arts, elle décore les résidences royales, notamment les pièces qui lui sont dévolues Grâce à ce livre, on se rend mieux compte, comme le remarque Jean-Jacques Aillagon, que « si Louis XIV est le monarque versaillais par excellence, celui qui a rêvé et conçu Versailles, Marie-Antoinette est incontestablement la reine qui aura le plus marqué de son empreinte le château et son domaine. » Marie-Antoinette s’est toujours entourée d’objets d’art et qu’elle paraissait sensible au pouvoir des œuvres d’art. « Convaincue que la magnificence de la reine de France dans sa chambre de parade passait par la présentation d’objets précieux » précise Pierre-Xavier Hans. Quels arts ? Son intérêt ne se porte ni sur la peinture ni sur les arts majeurs en général, mais plutôt sur les arts décoratifs. Férue de bijoux, elle exige de les retrouver dans des décors créés pour elle. On retrouve donc des motifs propres à la joaillerie, en particulier des perles, sur les meubles, les lambris. L’argenture de certains renforce l’aspect de bijoux des décorations, le travail du bronze rejoint celui du joaillier. Son goût pour la nature est aussi nettement perceptible dans les détails, avec une précision botanique des variétés représentées. C’est l’occasion pour les sculpteurs, modeleurs et ciseleurs de pousser leur travail à l’extrême. À partir des années 1780, elle est marquée par le « goût étrusque ». Ce « goût » entre en contradiction avec ses choix antérieurs : il prône un retour à l’antique beaucoup plus rigoureux, voire sévère, une simplification des formes arabesques. Ainsi, elle préfère désormais les grands placages d’acajou au détriment des panneaux de marqueterie de fleurs. La reine aussi été marquée par l’égyptomanie naissante, qu’elle propage dans ses appartements. (sphinges sculptées…). Bertrand Rondot affirme que « par la variété de ses commandes, par les sommes énormes qui y furent investies, Marie-Antoinette s’inscrit manifestement parmi les grands ordonnateurs du goût au crépuscule de la monarchie. Si elle accumule énormément d’objets, elle cherche plus à créer des intérieurs raffinés que collectionner, sauf les laques. Elle tient à certains objets et pour les mettre en valeur elle est prête à organiser la décoration d’une pièce. Ainsi à la mort de sa mère, elle hérita d’un ensemble de cinquante boîtes en laque. Elle décida de les présenter dans son grand cabinet intérieur, et créa petit à petit son intérieur d’art le plus exceptionnel. Elle commanda notamment à Riesener des meubles en laque, qui « constituaient à l’époque le summum pour un ébéniste ». » Selma Schwarz rappelle le goût de Marie-Antoinette pour l’exotisme de l’Orient. Goût, qui lui vient de sa propre mère qui collectionnait les objets en laque. N’oublions pas non plus que qu’elle vient d’un pays situé aux confins de l’Europe, « où flottait encore le parfum de la présence ottomane ». Dès 1777, elle se fait aménager un boudoir turc à Fontainebleau et certains documents révèlent qu’elle possédait déjà une salle turque à Versailles, « qui était décorée dans ”ce genre Etranger” ». L’Empire ottoman est abordé sur le mode de la gaieté et de la théâtralité. L’extrême-Orient est très prisé également. Mais Marie-Antoinette ne crée pas d’intérieur spécifiquement « chinois », elle collectionne des objets et notamment de laques, elle passe d’ailleurs pour l’un des plus grands collectionneurs de laques de Paris à la fin du XVIIIe siècle. Les meubles en laque commandés à Risener, aujourd’hui conservés au Metropolitan Museum of Art de New York, sont exécutés au moyen de panneaux de laques japonais et décorés de fort belles montures en bronze doré.

Tout ce mobilier a été dispersé au moment de la révolution, vendu souvent. Pierre Arizzoli-Clémentel, directeur général de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, rappelle tout le travail entrepris pour restaurer le Petit Trianon et pour récupérer dans des ventes publiques ou grâce à des dations une partie du somptueux mobilier vendu à la Révolution. Petit à petit les pièces de Marie-Antoinette retrouvent leur lustre.
Cette somme, qui aborde, on vient de le voir, tous les aspects de la personnalité de la reine, s’impose déjà comme un ouvrage de référence sur Marie-Antoinette.

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