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Invisibilité, par Colombe Moinet
La Nouvelle vague fantastique : Table des matières
Invisibilité
Colombe Moinet
C’était un mardi soir, comme tous les mardis soirs, je rentrais de mon cour de danse qui avait lieu après ma journée d’école. J’étais donc particulièrement fatiguée. En arrivant, mon père me tendit les bras comme si j’allais lui sauter au coup ; pour lui j’avais toujours cinq ans de moins. Ce dernier n’avait malheureusement pas changé d’attitude depuis la disparition de sa femme adorée. Et il ne pouvait pas réaliser que ses propres enfants tentaient de tourner la page.
Je sentis une odeur plutôt agréable ; affamée, j’accourus dans la cuisine où mes deux frères et la petite m’attendaient. L’ambiance du repas fut sordide et peu chaleureuse. Seulement des regards fusaient et les bruits des couverts sur les assiettes en porcelaine se faisaient entendre. Cette atmosphère, j’y étais habituée depuis maintenant un moment, depuis qu’elle nous avait quittés, laissés à nos vies.
Mes frères étaient malgré ça toujours amusants et distrayants, sans oser le montrer devant mon père.
Le dîner achevé, je m’enfermai dans ma chambre. Un livre englouti et deux glaces au chocolat avalées plus tard, je décidai de me coucher. J’aperçus la lune blafarde en fermant mes volets, pas un signe de vie dans la rue. Un souffle de vent frais me fouetta le visage, je reculai et filai sous ma couette. Etant pourtant épuisée, je ne parvins pas à m’endormir : je me tournais, me retournais, m’adossais, m’allongeais, me pliais, me courbais, mais en vain. J’éprouvais un nombre incalculable de sentiments à la fois, sans pouvoir dire lesquels. Ce comportement était tout à fait inhabituel, car j’étais de nature très calme et n’avais jamais eu autant de mal à trouver le sommeil.
Dehors, des bruits étranges retentissaient, comme des hurlements d’animaux, à tel point que la terreur m’envahit peu à peu. Mon cœur battait la chamade, ma gorge se nouait et mon sang se glaçait. Je quittai mon lit pour rejoindre la fenêtre, je l’ouvris rapidement, un brouillard épais pesait, ce qui m’empêcha de distinguer le jardin. Cette atmosphère était curieuse et inexplicable pour un mois de juin dans le Sud. Je sentais la crainte monter en moi… L’orage grondait, quelques éclairs illuminaient le ciel.
Soudainement, je sentis comme un déchirement, une douleur affreuse m’envahit. J’avais l’impression qu’une corde me serrait le cou sans que je puisse réagir. Je n’avais jamais ressenti une telle sensation. Je hurlai intérieurement, gesticulant sur mon lit. Je désirais simplement que tout s’arrête, par n’importe quel moyen.
Puis tout à coup, le vide. Tout s’était dissipé. Je repris mes esprits et courus chercher un verre d’eau. Dans la cuisine, mon frère mangeait discrètement du pain. Je fis un pas puis deux. Il ne semblait pourtant pas remarquer la moindre présence. Je lui dis quelques mots, mais il ne m’écouta pas le moins du monde. Il ne me regarda même pas. Je n’y prêtai pourtant pas plus d’attention que cela étant donné qu’il était tard et qu’il était certainement endormi. Mais cette attitude ne lui correspondait pas.
Dans ma tête, des questions restaient sans réponses. Y’avait-il un lien entre la douleur éprouvée plus tôt et le fait que mon frère m’ait ignorée ? Que signifiait ce mal ? Je m’endormis finalement, dans l’incompréhension et le doute.
La journée suivante se passa particulièrement bien, sans le moindre anicroche. Pourtant tout sembla recommencer en pleine nuit. Le noir était des plus profonds, seuls des murmures inaudibles se confondaient avec le chant du hibou. Et je ne pouvais m’empêcher de penser à la nuit dernière. Mes idées fusèrent et un mal être prit possession de moi. Cette douleur insolite, je la reconnaissais à présent et je tressaillis. Je ne savais que penser, des questions inexplicables persistaient dans ma tête. Je ne dormis pas de la nuit.
Le matin suivant, j’accourus dans la cuisine, dans l’espoir de me consoler dans les bras de mon père. Mes deux frères étaient présents et je leur souhaitai le bonjour une nouvelle fois sans réponse. Cette fois c’en était trop ! Je haussais la voix, puis hurlais, jusqu’à m’apercevoir que ça ne menait à rien. Personne ne remarquait ma présence. A présent c’était plus qu’étrange. Je doutais de ma raison. Ma crainte confuse doubla quand j’entendis mon frère déclarer qu’il faudrait me réveiller. J’étais dorénavant terrifiée, je sentis mon cœur battre à tout rompre. Je retrouvais ma chambre et crus défaillir. Etait-ce l’effet du délire ? de la tristesse ? Je ne réfléchis pas plus longtemps et me plaçai devant mon miroir, sans savoir ce qui m’attendait. Un cri. Des pleurs.
L’après-midi était déjà bien avancée et je me réveillais. Tout de suite, les souvenirs me revinrent : rien. Rien dans le reflet de ce miroir, rien excepté ma chambre, alors que j’étais bien devant cette glace. Je comprenais maintenant, pourquoi mon frère ne m’avait pas vue, pourquoi personne ne m’entendait. Ils ne me voyaient simplement pas. Je ne savais ni comment ni pourquoi. Mais était-ce aussi moi qui perdais la raison ? Que penser ? Je n’étais pas folle, je n’avais pas rêvé, il n’y avait rien dans ce reflet. J’étais livrée à moi même, personne ne me comprendrait.
Je n’avais plus rien qui me maintenait heureuse, ni des amis, ni une famille harmonieuse, ni même un loisir ou une idée abstraite. Je sortis dans le couloir, me retournant vers mon père, mais ne m’arrêtant pas. Je courus aussi longtemps que je le pus, loin de tout, de ce village, de cette vie. Quand j’eus terminé ma course, je me trouvai à la lisière d’une forêt. Seule. Je m’allongeai sur le sol, repensant à absolument tout. Je pense qu’au fond de moi même j’étais déjà consciente de ma folie. Il s’agissait maintenant de me l’avouer. Et si tout cela n’était qu’un simple rêve, que j’allais me réveiller. C’était pourtant impossible ! Je vivais bien, j’étais toujours Lou Ferri. L’unique idée que tout cela était faux me rassurait. J’en conclus qu’il fallait mieux achever les choses moi même. Si je rêvais, en rouvrant les yeux, je serais dans mon lit. Et si c’était la réalité, je n’avais plus rien à perdre. Je pris mon courage à deux mains, m’approchai de la route et attendis l’arrivée d’un véhicule. Je crus apercevoir une voiture qui se rapprochait, laissais le moment propice se présenter. Quand le monstre rouge à roues fut au plus proche, je me jetai dessous, l’obligeant à me passer sur le corps. Jamais personne ne sut si j’avais rêvé ou si j’avais vécu cette expérience. Si je sombrais dans la folie ou si tout était réel. On me retrouva simplement sans vie, ce qui causa le désespoir de ma famille et de mes proches.
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