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Le Cauchemar d’Hélène
Nouvelle de Victorine Saliou et Hoa Brillion, 3e2
Nouvelle publiée dans Les Cahiers de l’École alsacienne, 74, décembre 2013.
Hélène marchait, seule, dans le couloir sombre, le long couloir aveugle qui menait à la salle informatique. La seule ampoule, source de lumière falote, avait rendu l’âme quelques heures auparavant et l’atmosphère était propice au cauchemar. Néanmoins, Hélène continuait à avancer, sereine. Elle était sûre de trouver la sortie de ce boyau, faisant confiance à la lumière qui, pensait-elle, filtrerait sous la porte. Elle fit donc encore quelques pas… et se heurta à une porte. Surprise, mais ne s’affolant pas, elle revint sur ses pas. La lumière dans la salle informatique devait être éteinte. Elle promena sa main sur le mur dans toute la longueur du couloir. Mais elle dut se rendre à l’évidence : la porte de la salle informatique avait disparu !
Alors Hélène commença à perdre son heureuse insouciance. Elle courut dans tout le couloir avant de s’effondrer contre la porte du Petit collège, si tétanisée qu’elle n’avait même plus la force de lever la main pour l’ouvrir. Elle s’adossa au chambranle. Des voix semblaient sortir de l’obscurité, l’appelant à voix basse : « Hélène…, Hélène… ». Les longs tentacules noirs de l’épouvante semblaient vouloir s’emparer d’elle.
Terrifiée, elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Elle puisa néanmoins assez d’énergie dans sa peur pour pousser brutalement la porte contre laquelle elle était appuyée. Et là, derrière la porte… une scène de sabbat s’offrait à ses yeux. Un grand feu brûlait. Trois faces grimaçantes se dressaient, éclairées par la lumière rouge et dansante qui parait leurs visages d’ombres et de splendeurs terrifiantes…
Horrifiée, Hélène s’aperçut que le brasier était alimenté par des dossiers scolaires. La peur était telle, qu’elle ne vit pas, derrière cette scène d’épouvante, la porte de la délivrance qui se profilait, radieuse. Soudain, un des élèves leva le bras en vociférant quelques mots qu’Hélène ne comprit pas. Elle se mit à crier, un long cri qui se répercuta dans le long couloir vide. Une lourde masse s’abattit sur sa nuque et elle s’écroula, sans connaissance, ayant seulement conscience dans son étourdissement des cris et de cavalcades lointaines. La lumière du brasier restait vivante dans ses yeux mi-clos.
Hélène chassa les ténèbres lourdes qui obscurcissaient sa vision. Il fut un moment avant qu’elle ne se décidât à ouvrir ses yeux. Tout était blanc ici, et silencieux, mis à part le « bip-bip » régulier de l’électrocardiogramme placé à côté d’elle. Elle reposait sur un lit d’hôpital ; face à elle, une jeune fille la regardait silencieusement, assise sur une chaise. Avec un frémissement, Hélène nota qu’elle était défigurée : son œil droit était à demi fermé, sa mâchoire déformée et sa joue portait les traces de brûlures anciennes. La jeune fille ouvrit la bouche avec difficulté : « Vous êtes réveillée ? ».
C’était plus une affirmation qu’une question. Sa voix était basse et rocailleuse. Après avoir prononcé ces quelques mots, elle se tut. Chaque jour, elle venait et s’asseyait en face d’elle. Une semaine plus tard, les messages commencèrent à arriver.
Hélène les trouvait, inscrits sur des pages déchirées, posés sur sa table, écrits à la craie sur son miroir, dans les journaux qu’elle ouvrait… C’était des messages inquiétants, menaçants : « Ne revenez jamais à l’École alsacienne », « Vous courez un grand danger ». Les messages étaient invariablement signés « Ω », Oméga. Qui était cette personnalité étrange, signant ses messages d’une lettre grecque ? Hélène l’ignorait, elle avait beau réfléchir, aucune réponse ne lui vint à l’esprit. Un instant, elle songea à la jeune fille qui passait ses jours à l’observer. Elle lui parla des messages. Mais la jeune fille restait murée dans son inquiétant silence.
Cependant, au fil des semaines, la jeune fille commença à sortir de son mutisme. Tout d’abord, elle ne prononça que quelques phrases sibyllines : « Vous n’auriez jamais dû passer cette porte », « Que je regrette, d’avoir rencontré ces monstres ». Hélène ne comprit pas tout de suite ces allusions, mais elle finit par deviner que « la porte » qui hantait l’esprit de la jeune fille était cette même porte derrière laquelle elle avait vécu un cauchemar qui vivait encore et lui brûlait les entrailles rien qu’à y penser. Les élèves dont elle parlait n’étaient autres que ces trois garçons qui avaient fait d’elle une infirme.
Finalement, un matin, Hélène connut la vérité. La jeune fille était arrivée comme à son habitude. Elle avait semblé retomber dans sa rêverie douloureuse, mais, au bout de quelques minutes, elle avait parlé… « Ne me posez pas de question… ne m’interrompez pas… je vais vous raconter ». Et elle commença son récit d’une voix hachée. Elle avait tout de suite remarqué le comportement suspect des trois garçons. Ils disparaissaient parfois durant des jours entiers. Quand ils revenaient, les professeurs semblaient vouloir protester, mais ces garçons dégageaient quelque chose de spécial et mystérieux et les professeurs, comme électrisés, fermaient la bouche et acceptaient leurs absences prolongées. Un jour, elle les avait suivis. Ils avaient d’abord pénétré dans le bureau du censeur et étaient ressortis les bras chargés de dossiers volumineux. Elle les avait suivis jusque dans le couloir, jusqu’à la porte, et les avait vus disparaître derrière le battant. Elle avait eu le malheureux réflexe de pousser cette même porte et de pénétrer dans cette salle sombre, éclairée seulement par les grandes flammes rouges et noires dont les ombres dansaient sur les murs. Ils l’avaient vue. Ils l’avaient empoignée. Dans ce réduit obscur, ils l’avaient frappée. Ils avaient crevé son œil, et sa mâchoire s’était brisée lorsque sa tête avait heurté le mur. Elle était finalement retombée au sol, la joue posée dans les braises fumantes avant que tout ne bascule vers un abîme sans fond. Elle avait été transportée à l’hôpital et elle y était morte à quatre heures trente-trois du matin ; et fut réanimée : son cœur s’était remis à battre et elle avait survécu.
Après son réveil, elle avait reçu des messages, tous les mêmes : ils lui faisaient peur et été signés « Ω ». Deux jours plus tard, Hélène était arrivée, lui permettant de raconter ce qui lui faisait peur, lui permettant de partager son secret.
Quand elle eut raconté sa triste aventure, la jeune fille sortit de la chambre et disparut. Hélène apprit, quelques jours plus tard, que des promeneurs avaient retrouvé son corps sur la berge, le signe « Ω » gravé au scalpel sur son front.
Hélène reçut un message : « Ne jamais revenir à l’école, cela pourrait vous coûter bien plus que votre vie… peut-être celle de vos proches… »
Quelques jours plus tard, Hélène put rentrer chez elle. Le surlendemain, elle retourna à l’école, les trois lycéens n’y étaient pas. Seulement, elle recevait toujours des menaces, et la vision de son amie étendue sur le sol la hantait.
Un jour, elle trouva un mot dans son casier : « Le délai que nous vous avons laissé expire ce soir, vous expirerez avec lui très chère, sauf si vous quittez cette ville… à moins que vous ne préfériez que l’on retrouve votre corps dans la Seine… »
Le message occupa son esprit toute la journée et la tension se faisait de plus en plus présente. Les heures s’écoulaient ; elle était toujours à l’École alsacienne, elle n’avait pas quitté la ville, elle ne savait pas quoi faire.
Il était tard, Hélène monta dans sa chambre, elle gravit les marches de l’escalier, la lumière s’éteignit. Elle se mit à paniquer, courut se réfugier dans sa chambre, et referma la porte derrière elle.
Ils étaient là, ce fut tout ce qu’elle put se dire : ils sont là. Assis sur mon bureau. Ils me sourient calmement. Ils sont venus. Ils ouvrent la bouche : “Bonsoir Madame F., belle soirée n’est ce pas ?” Ils s’approchent encore et encore. Leurs yeux étincellent. La lumière du brasier s’y reflète. Je tombe. Je tombe et je crie, j’ai peur et j’ai mal, ils se penchent vers moi et ma tête explose de douleur ».
Hélène se leva et s’habilla. Elle prit son sac et sauta dans le bus. Son premier cours débuta avec les 3e2. Elle leur parla longuement de la différence entre rêve et réalité et leur fit faire une rédaction sur le cauchemar.
Après le cours, on vint chercher Hélène : « Nous allons vous présenter une nouvelle élève ». Lorsqu’elle entra dans la pièce, son sang se glaça, elle s’agrippa à la table et s’assit. En effet, sur une chaise, l’élève était assise, son œil à demi fermé, sa mâchoire déformée. À son doigt, une bague dont le diamant formait un « Ω » .
Avec effroi, Hélène retrouva la jeune morte de son rêve.
Le cauchemar recommençait…
Victorine Saliou et Hoa Brillion, 3e2
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