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Florin, Jean-Luc / Slavoj Zizek : une philosophie à vendre ?

Article du 13 décembre 2008, publié par PO (modifié le 20 novembre 2009 et consulté 492 fois).

Slavoj Zizek : Une philosophie à vendre ?

Jean-Luc Florin

Profession : philosophe. Nationalité : slovène. Cite Lacan, Lénine, Whitney Houston. Aurait influencé les auteurs de Matrix. Enseigne à Ljubljana et aux États-Unis. Coqueluche là-bas et ailleurs, clandestinité à Paris ; peu traduit.

Bien qu’assis au dernier rang d’une salle des congrès de province, ça ne m’a pas échappé : le nouveau philosophe semble porter une chemise de marque. Jaune de surcroît. Pas de vêtements gris, pas d’allure d’apparatchik. Avant même que ce quinquagénaire barbu ne prononce un seul mot, la réussite du passage à l’économie de marché se confirme. La Slovénie, carrefour commercial, ne se révèle-t-elle pas la mieux prédisposée aux échanges capitalistes ?

Pourtant mes doutes ne sont pas immédiatement dissipés. C’est un clone de Fidel Castro que j’observe s’animer en contrebas. Barbe fleurie et martèlement énergique de la main en accompagnement des paroles. Le conférencier volubile étire nerveusement sa chemise, redresse sa mèche en se tournant brusquement vers le voisin de gauche pour réclamer l’adhésion à son propos, rectifie de nouveau sa chemise. Le tout dans un français très correct, débité rapidement avec un accent fort. Je reconnais la voix empressée mais chaleureuse entendue deux jours plus tôt sur France Culture. Un discours peu critique sur Robespierre et la Terreur avait provoqué un malaise sensible à l’antenne - et exacerbé mes interrogations.

Tout doit disparaître

Pour l’auditoire des salles fonctionnelles, exit les relents totalitaires. Zizek excelle dans le décryptage des paradoxes. Comme dans ses ouvrages, les références sont habilement télescopées, brassant auteurs académiques et exemples tirés de la culture populaire, voire de la vie quotidienne. Le philosophe rabâche aujourd’hui son comparatif des systèmes d’évacuations des toilettes françaises, allemandes et anglaises. Il explique savamment que les Allemands laissent traîner les excréments au fond de la cuvette, pour faciliter l’examen médical. Les Français, quant à eux, privilégient l’évacuation immédiate par l’arrière. Tout doit disparaître. Enfin, le tribun ajoute : « Pour l’Angleterre, c’est un compromis flottant ». Et de conclure que l’Europe se persuade d’être débarrassée des idéologies, alors qu’il suffit d’un passage aux commodités pour sentir la persistance des préjugés. Je retrouve cet intérêt pour l’analyse des contradictions, des choix prétendument libres. J’attends vainement l’évocation de passages consacrés à C’est mon choix. Mais ce ne sera pas la peine : l’assemblée jusqu’à présent assoupie palpite. Une voisine tendance preneuse de notes lâche le stylo. Propagande efficace, pourrais-je me dire. Seulement l’orateur désamorce les critiques en soulignant lui-même la manipulation.
En évoquant malicieusement une improbable autocritique. Et comme l’autodérision constitue une arme efficace du marketing moderne, je reste perplexe. La stratégie d’exportation serait-elle plus maîtrisée que chez Derrida ? Je ne sais pas, car si maintenant les philosophes m’amènent à douter, rien ne va plus.

L’Imbécile, 8, 2005.

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