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Entretien avec Jean Anhouil (1962)
Cahiers de l’EA, 2, 1962
Par : Pierre DUPOISOT (Math. Elem.) Romaine HACQUARD (2e) Monique MASSON (2e) Richard SOGNO (Philo)
Pourquoi avez-vous inscrit vos enfants à l’Ecole Alsacienne ?
Sans doute parce que quelques-uns de mes amis, Cocteau, Pierre Fresnay... m’en ont parlé avec attendrissement.
A travers vos enfants que pensez-vous de l’Ecole ?
J’accompagne souvent mes enfants le matin en voiture à l’Ecole Alsacienne. Ils sont au Petit Collège : Caroline est en 7e, Nicolas est en 8e et Colombe au jardin d’enfants. Je dois avouer que je suis assez surpris que mes enfants aillent à l’école avec joie.
Pourquoi ?
Ce qui me frappe tout d’abord, c’est que mes enfants soient heureux à l’Ecole car, pour ma part, je me rappelle que je n’ai pas toujours aimé aller en classe. Ils y font un travail amusant, intéressant. Ils sentent que les professeurs les respectent, qu’ils y sont des personnes humaines et c’est ce qui, je crois, fait la valeur de l’Ecole Alsacienne.
Que pensez-vous du travail, quel qu’il soit ?
C’est une chose... abrutissante.
Et des études littéraires ?
Je n’y crois pas. Je comprends mieux un écrivain qui fait math élem que philo. Du reste, peu importe le genre d’études que l’on a faites, seule la valeur propre de l’homme compte. Je ne crois pas aux études littéraires : on goûte la littérature mais on ne l’étudie pas, car celà la stérilise. En ce qui me concerne, j’ai fait la philo, mais je venais de moderne et j’avais la sensation d’être très fort en math, alors qu’auparavant je ne l’étais pas du tout.
Comment vous est venue l’idée d’écrire ?
J’ai reçu un choc à l8 ans en entendant des oeuvres de Bernard Shaw, de Giraudoux et de Pirandello.
On vous accuse parfois d’avoir imité Giraudoux, qu’en pensez-vous ?
Lorsqu’on admire quelqu’un et que l’on subit son influence, on est certainement enclin à l’imiter.
On vous a taxé d’un certain pessimisme : êtes-vous vraiment pessimiste ?
Je suis vraiment pessimiste, les gens optimistes sont des gens superficiels, en quelque sorte des farceurs. Les pessimistes sont réalistes, donc sensés !
Donc, si vous êtes pessimiste...
Oui...
Vous êtes parmi les gens sensés...
Je l’espère.
Pensez-vous que l’homme soit foncièrement mauvais ?
Oui, notre monde est vraiment noir.
Pensez-vous qu’il ait toujours été noir ?
Oui. Par exemple, si vous prenez Le journal d’un avocat sous la Régence de Barbier, vous vous apercevez que la vie de tous les jours à Paris n’a guère changé. Si on en lit quelques pages tous les jours, au bout d’un ou deux mois, quand on est « dans le bain », on voit que cette époque était semblable à la nôtre...
A quelle époque auriez-vous aimé vivre ?
J’aurais aimé vivre au XVIIIe siècle car c’est incontestablement la période où les gens jouissaient d’une quasi totale liberté.
Quel est parmi les écrivains, votre « ennemi intime » ?
Sans conteste Jean-Jacques Rousseau. Je ne crois pas aux gens qui rebâtissent la société. Evidemment, l’homme ne peut plus être lui-même, car la société l’en empêche.
Mais le XVIIIe siècle était le siècle de J.-J. Rousseau !
Oui, mais je ne l’aurais pas rencontré...
Que pensez-vous du progrès moral dans le monde ?
Le monde est en progrès, mais le progrès n’est pas continu. De temps en temps il y a des reculs, puis le progrès reprend au point où il s’était arrêté.
Pensez-vous que le progrès technique améliore la situation des gens ?
Non, au contraire, cela ne donne et n’apporte à l’homme que des ennuis.
A quelle époque pensez-vous que les hommes ont été les plus heureux ?
Au XIIe siècle ; la condition ouvrière était bien meilleure que de nos jours.
On a dit que vos pièces, Noires ou Roses, sont toutes plus ou moins grinçantes, est-ce vrai ?
Ceci est une histoire d’édition. Il a bien fallu trouver des titres pour les pièces et certaines sont classées Roses, d’autres Noires... Mais j’avais écrit mes pièces avant de trouver ces qualalificatifs !
Qu’est-ce pour vous que le « suspense » ?
Le vrai suspense c’est le suspense de la tragédie : c’est de savoir ce qui va se passer mais d’espérer quand même jusqu’à la fin. C’est à cette nécessité que répond le Prologue d’Antigone : c’est lui qui remplace le choeur de Sophocle. Le Prologue, c’est celui qui sait déjà et qui raconte l’histoire en quelques mots, car il faut que le spectateur sachent à l’avance dans une tragédie ce qui va se passer. C’est un suspense supérieur : on espère contre l’évidence.
Que devient Thérèse à la fin de « La Sauvage » ?
Je ne sais pas. Je suppose qu’elle retourne à de nouveaux malheurs dans l’orchestre. Au spectateur d’imaginer lui-même la suite.
Etes-vous en train d’écrire une nouvelle pièce ?
Non, et cela fait deux ans déjà que je n’écris plus, et je n’ai pas, pour l’instant l’intention d’écrire de nouvelle pièce.
Pourquoi y a-t-il des anachronismes dans « Antigone » ?
Ces anachronismes sont voulus. Cette pièce, je l’ai écrite pendant la guerre pour marquer un certain état d’esprit. La pièce se joue dans un décor moderne, avec des personnages de tradition classique mais de pensée moderne. Pour ne pas tomber dans le ridicule il faut user de mots modernes...
Nous admirons maintenant une splendide collection de marionnettes, les marionnettes de Gaston Baty. Au passage nous voyons un dessin de Caroline, sans doute fait à l’Ecole ! Nous serrons la main de Jean Anouilh qui nous recommande de ne pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, et nous quittons à regret ce grand écrivain, si accueillant, père, comme il le dit lui-même, de trois futurs anciens élèves de l’Ecole Alsacienne.
Sang Neuf, 2, 1962
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