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ND-des-Champs : une rue où souffle l’esprit (1987)
Cahiers de l’EA, 52, 1987
N°52, mai–décembre 1987
UNE RUE OÙ SOUFFLE L’ESPRIT
Yves D. Papin
La rue Notre-Dame-des-Champs, longue, étroite et sombre du fait de la hauteur des immeubles qui la bordent, a un aspect plutôt austère et triste malgré son nom champêtre. Quasiment frontière de Montparnasse au nord, elle est une artère qui, a, de longue date, attiré les artistes et intellectuels. Et si son intérêt architectural est limité, quel pèlerinage sentimental ! Je me permettrai d’ajouter qu’elle m’est particulièrement chère puisque j’ai accompli mes études au Collège Stanislas et que ma carrière se déroule, plus haut, à l’École alsacienne, ne la quittant pour ainsi dire pas !
Longue de 1010 mètres
Après s’être appelée Chemin Herbu (XIVè s.) puis rue du Barcq, du Coupe-Gorge et Neuve-Notre-Dame-des-Champs, puis de la Montagne-des-Champs sous la Révolution, elle prit son nom actuel au XIXè siècle, rappelant ainsi le chemin campagnard qui, au XIVè siècle, conduisait la maladrerie Saint-Germain à la chapelle Notre-Dame-des-Champs, située rue Henri-Barbusse actuelle. Cette chapelle, d’après la légende, s’élevait au-dessus de la carrière où saint Denis aurait réuni ses premiers fidèles avant d’y être arrêté pour subir le martyre à Montmartre. Les bibliophiles se souviendront des éditions Nelson installées en ces lieux il y a quelques lustres. Cette rue s’étire sur plus d’un kilomètre de la rue de Rennes au carrefour de l’Observatoire.
Une pléiade d’artistes
La plupart des activités culturelles ont été ou sont représentées dans cette rue : communautés religieuses, écoles et collèges, artistes, écrivains, politiques même. Les artistes arrivent cependant en tête par leur nombre imposant, ce qui n’a rien d’étonnant en ce quartier Montparnasse où demeurent encore nombreux les ateliers. Le percement du boulevard Raspail en 1881 a amputé la rue de certaines maisons illustres où travaillèrent entre autres Deveria, Ramey, Henner, Harpignies, Hoffbauer. Mais les bâtisses encore debout nous pouvons évoquer nombres de figures connues.
Au 25, le disciple de Raffet, Charlet. Au 56, Paul Baudry, qui décora le foyer et les galeries de l’Opéra de Paris. Au 61 était l’atelier du peintre bucolique Rosa Bonheur ; c’est depuis la maison-mère de Notre-Dame de Sion. Au 70bis, Léon Gérôme, peintre et sculpteur, avait son atelier et son logement : la décoration chinoise de son atelier l’avait fait surnommer « la boîte à thé ». Après lui, cette « boîte à thé » accueillit Emile Bayard, dessinateur à l’Illustration, Georges Roux, illustrateur de Jules Verne, Kaemmerer, peintre hollandais, Renaudot, sculpteur, dont une fille épousa C. Flammarion. Enfin, Paul Baudry, déjà rencontré au 56, et Jean Moreau-Vauthier, sculpteur. Le 73, fut très recherché aussi puisque l’on y rencontre successivement Jean-Paul Laurens, « pompier » d’envergure, Elisabeth Gardner, peintre, John Sargent le peintre américain. Le 75, électrique, reçut le peintre William Bouguereau et le sculpteur Jules Thomas, puis, ô contraste ! le fauve Othon Friesz, qui y mourut en 1949. Gustave Courbet loua le 83 avec le critique d’art Castagnary, avec l’intention d’y ouvrir une école, mais le projet échoua. Le compositeur Théodorakis pendant son exil séjourna au 111, rue Notre-Dame-des-Champs, et des peintres connus, peuvent toujours s’y rencontrer, Mandeville par exemple qui occupe, dit-il, au 117, l’ancien atelier de Camille Claudel. Notons que dans l’ensemble, les artistes de ce secteur étaient plutôt conservateurs : Apollinaire ne disait-il pas : » Les artistes de Montparnasse sont vêtus à l’américaine ! »
De Victor Hugo à André Gide
Les écrivains ne sont pas en reste avec les artistes. Le percement du boulevard Raspail a fait disparaître la maison où habita de 1827 à 1830 Victor Hugo : le poète y écrivit Cromwell, les Orientales, Le dernier Jour d’un condamné, Marion Delorme et Hernani. C’est d’ailleurs le succès de cette pièce qui, attirant trop d’admirateurs, en plus des habitués du « Cénacle », décida le propriétaire de donner congé à Hugo ! Le 49 a abrité le grand Pierre Larousse, qui y mourut en 1875. Le 66 évoque le poète Jean Richepin qui résida ici au début du siècle. Peu après, au 76, c’est Maurice Barrès qui y logea en arrivant de Nacy : il fonda dans ces murs sa revue La Tache d’encre. Pierre Louys, lui, habitait le 79. Au 82 vivait le grand « indo-européen » Georges Dumézil, mort en 1986. Une autre gloire, le romancier américain Hemingway, habitait un atelier de menuiserie dans le prérimètre de l’École. Il évoque dans un de ses livres, la boulangerie à double entrée qui est toujours là, et que connaissent bien les élèves de l’École alsacienne et les étudiants de la FACO. Rappelons que c’est rue Notre-Dame-des-Champs que R.-M. Rilke eut sa célèbre vision poétique de la femme au double visage. Enfin, tout en haut de la rue, à sa croisée avec l’avenue de l’Observatoire, la Closerie des Lilas rappelle tout un passé artistique et littéraire de première grandeur : Ingres, Dalou, Harpignies, Jarry, Curnonsky, Gide, Moréas, Paul Fort et combien d’autres. Et pour couronnement la vibrante statue du maréchal Ney par Rude, face à l’ancien bal Bullier devenu centre universitaire.
De glorieux potaches
Dans un domaine intellectuel et spirituel, cette rue est jalonnée d’institutions religieuses et d’établissements scolaires. Pour ne citer que ceux toujours en exercice : du 2 au 10, la communauté du Saint-Esprit, au 17 les religieuses de Nazareth, au 20 les sœurs du Bon Secours, au 22 le collège Stanislas, au 45 les Petites Sœurs des Pauvres, au 61 Notre-Dame de Sion, au 93 l’Ecole Sainte-Marie, au 107-109 l’École aslacienne, au 113 la FACO, à la place des laboratoires Bottu ! Et tout n’est pas dit ! Parmi les anciens élèves de Stanislas : E. Rostand, Guynemer, Gouraud, de Gaulle ; et ceux de l’Alsacienne : Gide, Pierre Louys, Charcot, Christian Herter, Vercors et tant d’autres…
Proche de ce domaine, le futur cardinal Mercier, archevêque de Malines, habita au 41. Parmi les hommes de théâtre Fernand Ledoux fut longtemps une gloire dans la rue. La politique aussi a ses représentants, de l’ancien ministre révolutionnaire Garat à l’actuel Jacques Toubon. La liste est loin d’être close. On relève deux scientifiques notoires, le chimiste Paul Schûtzenberg, fils du maire de Strasbourg de 1870 et, au 82, Jean Dresch qui marque la géographie française depuis de nombreuses années. Restons dans l’Université avec le grand historien de la Révolution Albert Soboul, qui habitait jusqu’à sa mort au 119.
C’est dire que la tradition de culture et de talent est une constante de cette rue, qui vaut mieux par ce qu’elle contient que par sa mine peu engageante dès l’abord.
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