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Ah ! La rue Le Verrier ! (1990)

Cahiers de l’EA, 56-57, 1990

Article du 22 septembre 2014, publié par PO (modifié le 19 mai 2014 et consulté 454 fois).

Ah ! La rue Le Verrier !

Jean-Marie Catonné

Septembre 89, révolution pour les Terminales : ils se retrouvent dans les nouveaux locaux de la rue d’Assas.

Délaisser l’austère et provinciale rue Le Verrier, aux façades éclectiques, pour les embarras de la rue d’Assas et l’insolente modernité d’une construction rose et noire, aux reflets d’argent, n’était-ce pas risquer d’ajouter aux encombrements du Petit collège, de perdre une liberté à peine universitaire, de se renier pour les mirages d’un habitat rationnel et la trop raisonnable nécessité d’une réunification géographique de l’École ? Là-bas, on enseignait verticalement, du sous-sol aux soupentes, dans une demeure tout en étages où les paliers servaient de dégagements, mais qui donnait sur la rue, presque l’aventure... Ici, on pouvait craindre de se retrouver superposés dans d’anonymes mètres carrés de bureaux, prisonniers de fenêtres fonctionnelles, immobilisés, coincés sans évasion possible aux 4e, 5e et 6e niveaux d’un immeuble dont on ne mesurait plus la hauteur. La casanière avant-garde pédagogique de collègues de Terminale, contrainte de réintégrer le giron familial, abordait ce déménagement comme une promesse d’exode, un déracinement. [...] Et puis chacun est reparti à l’assaut d’une nouvelle année scolaire, l’âme infidèle, privé de mémoire, étonné de se retrouver déjà chez soi. Sans nostalgie ni états d’âme. Les nouveaux locaux avaient accompli leur miracle. À croire que nous avions toujours vécu là. C’est tout juste si quelques-uns se souvenaient des appréhensions qui les avaient chagrinés. [...]

Tout s’y passe sans entassement, entre gens de bonne compagnie. Un silence feutré rège sous l’ambitieuse complicité de nos élèves qui ont passé l’âge des aboiements inconsidérés et des agitations vaines. Ils ont démocratiquement accès à ces nouveaux lieux par un double escalier qui rappelle très vaguement Chambord, en moins chargé, l’escalier des grands entrecroisant celui des petits.

Si ceux-là faisaient attention à ceux-ci et inversement, chacun pourrait contempler, par delà les ans, ce qu’il fut, il y a bien peu, ou celui qu’il sera, dans pas longtemps. Les maîtres, eux, ont aristocratiquement droit à un ascenseur dont ils usent comme d’un privilège. La montée est suffisamment longue pour pouvoir échanger de studieuses et besogneuses civilités.

Tous se rejoignent dans un large vestibule, pompeusement dénommé agora, jouxtant la cabine vitrée du vaisseau de l’administration et donnant sur une terrasse estivale que l’on n’a pas encore baptisée solarium. Entre midi et deux heures, quelques sages y paressent nonchalamment, refaisant par avance le monde, ou rattrapant leurs cours en retard. Des plantes vertes les conseillent, sans mot dire. Un mobilier très « design » motive leurs rêveuses espérances. L’antique rue Le Verrier est effacée, oubliée.

Certes, quelques nuages ombrent cette nouvelle idylle. L’isolation phonique s’arrêtant aux portes, notre pédagogie désormais horizontale y gagne, à l’occasion, une allure légèrement interdisciplinaire. Mais est-ce nuisible, pour de futurs étudiants, de suivre à la fois un cours de mathématiques et un exposé de philo ? Et ce n’est que justice que la voix des uns, toujours au service du savoir, l’emporte sur celle des autres, qui manque encore de conviction. Dans quelques mois, dans un an, ou plus tard, nous aurons tout le temps d’avoir des pensées cloisonnées.

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