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L’Expédition Charcot (1966)
Cahiers de l’EA, 13, 1966
Il y a cinquante ans, le Commandant Charcot quittait notre pays à bord de son premier navire « Le Français », à la conquête des terres australes.
L’expédition du Commandant Charcot a permis à la France d’être présente dans ces terres inhospitalières.
Le gendre de notre illustre ancien élève, Robert Allart, a bien voulu retracer le premier voyage de son beau-père.
Un rêve de jeunesse qui deviendra un idéal vécu
Jean-Baptiste Charcot, né le 15 juillet 1867, était le fils du docteur Charcot, le célèbre neuro-pathologiste. Il aurait voulu être marin, mais son père ayant décidé qu’il ferait sa médecine, il poursuivit ses études dans ce sens et fut reçu dans un très bon rang au concours de l’Internat.
Mais le but de sa vie était autre : il voulait être marin et explorateur.
Aussi, tout en poursuivant ses études médicales qui devaient lui donner une formation scientifique exceptionnelle, il s’efforçait à devenir un officier de marine d’élite et faisait construire différents yachts qui s’appelaient déjà « Pourquoi pas ? ».
Sa première campagne polaire antartique fut décidée en décembre 1902. Charcot n’avait donc que sept mois devant lui pour trouver l’argent, construire le navire et organiser l’expédition, puisque dans l’hémisphère austral l’ordre des saisons est renversé. Il sacrifia sa modeste fortune personnelle et arriva, grâce à une souscription ouverte par « Le Matin », à réunir la somme de 450 000 francs. On se rappellera avec une certaine amertume que lorsque, en 1901, quatre expéditions étrangères étaient parties pour l’Antartique, elles bénéficiaient de subventions gouvernementales allant de un à trois millions d’alors...
Charcot voulait un navire d’une extrême solidité, d’une construction irréprochable, prêt à prendre la mer six mois plus tard... et pourtant « bon marché ». C’était un peu la quadrature du cercle à résoudre, mais Charcot savait être persuasif quand il s’agissait de la réalisation de son rêve : faire flotter le drapeau tricolore dans les terres australes.
Sa persévérance triompha des incrédulités et des difficultés matérielles puisque la Société des Chantiers de Saint-Malo accepta de construire Le Français selon ses plans et délais.
Le navire du commandant Charcot
Le Français – c’était un trois mâts goélette – avait les dimensions suivantes : longueur 32 m, largeur 7 m 50, creux sur quille 4 m 20. Il était entièrement en chêne et, au niveau de la ligne de flottaison, était renforcé de solides barreaux transversaux afin de pouvoir résister aux chocs et aux pressions de la banquise ; l’étrave arrondie pour pouvoir monter sur la glace et la briser par le poids même du navire, était garnie d’une armature de bronze. L’aménagement intérieur réservait à chaque homme une « cabane », sorte de lit breton pouvant se fermer et permettant d’avoir un petit coin à soi. Si le laboratoire sur le pont avait pu être installé avec le soin le plus méticuleux par contre, il avait fallu se contenter – faute d’argent – d’un moteur auxiliaire de 125 CV.
Le navire du commandant Charcot emportait 60 tonnes de vivres ou de matériel et ses soutes renfermaient 2 tonnes de pétrole et 11 0 tonnes de charbon. L’équipage, entièrement français comprenait 14 membres ; l’état-major était composé de personnalités appartenant au monde scientifique et maritime.
Le but de l’expédition du « Francais »
Le voyage d’études le disputait à l’exploit sportif, comme on peut s’en rendre compte par l’importance du programme scientifique :
La campagne d’été 1904-1905 prévoyait la continuation des explorations et études entreprises dans cette région.
Ce que fut la première expédition du « Francais »
Mis en chantier le 15 janvier 1903, Le Français fut lancé le 27 juin de la même année, quitta Saint-Malo à la fin de juillet et acheva son armement au Havre.
Le 15 août 1903, Le Français sort des jetées du Havre pour se rendre à Brest parfaire son ravitaillement. Le 31 août, il met le cap sur l’Argentine.
Le Français est admirablement reçu à toutes les escales : Madère, Saint-Vincent, Pernambouc, Montevideo, mais l’accueil fait par Buenos-Ayres dépasse tout ce qu’on peut imaginer en générosité et en franche cordialité.
Cependant, Le Français ne s’attarde pas et met la voile vers l’île des Etats afin d’y prendre des chiens prêtés par la République Argentine, puis touche Ushuaia où il est rejoint par un transport argentin qui apporte, avec son dernier courrier, les pensées et les vreux des parents et amis de l’équipage.
Après une escale de quelques heures à la baie d’Orange, pour des observations scientifiques, l’expédition se dirige vers les Shetlands du Sud, disant adieu aux arbres et à la verdure qu’elle ne devait plus revoir pendant de longs mois, puis elle longe, en relevant leur tracé, les côtes nord-ouest de l’archipel de Palmer et séjourne dans la baie des Flandres. Elle contourne ensuite l’île de Wincke, ou elle laisse un cairn, sorte de pyramide de pierre destinée à marquer son passage. Se frayant un chemin à travers les glaces tout en cherchant un lieu d’hivernage satisfaisant, Le Français parvient aux îles Biscoe : mais arrêté par une barrière infranchissable, il remonte à l’île Wandel et l’expédition s’installe en ce point favorable à l’hivernage. Les travaux scientifiques de toutes sortes sont entrepris immédiatement et poursuivis sans relâche pendant les neuf mois l’hivernage, malgré le froid intense qui règne dans ces régions désolées.
Au printemps, Charcot entreprend un raid vers le sud pour élucider la question du détroit de Bismark et, au commencement de l’été, il faut ouvrir un chenal dans la glace au moyen de la mélinite et de scies à glace ; le 26 décembre 1905, Le Français se dirige à nouveau vers l’île Wincke, travaille quelques jours dans un magnifique port découvert par l’expédition et baptisé alors port Lockroy ; puis, notant les données hydrauliques du chenal de Scholaert, se dirige vers le sud et se trouve arrêté en vue de la terre Alexandre 1er par une barrière de glace qu’il tente en vain de franchir. Longeant la banquise, en vue des terres nouvelles qui sont relevées avec soin, Le Français parvient à franchir les glaces le 15 janvier 1906 et l’expédition arrive au pied d’un vaste promontoire auquel Charcot donne le nom de « Président Loubet ».
C’est alors que Le Français « donne » sur une roche noyée et n’est désormais maintenu à flot que par l’usage constant des pompes ; cette catastrophe imprévisible réduit à néant l’espoir de découvrir d’autres terres où planter le pavillon national et, de plus, il devient impossible de risquer un deuxième hivernage. Charcot décide néanmoins de continuer son travail en remontant le long de la côte mais il tient à faire part de cette décision à l’équipage. Les hommes galvanisés par son exemple, répondent avec enthousiasme : « parés ».
Après avoir longé la terre de Graham, remonté le détroit de Gerlache, relevé le chenal entre les îles Brabant et Liège, Le Français touchait à Puerto Madryn après une longue et difficile navigation et là regagnait Buenos-Ayres. La capitale de l’Argentine devait réserver à l’explorateur et à ses hommes une réception digne en tous points de celle qui leur avait été offerte trois ans auparavant.
Les résultats de l’expédition Charcot
Cette expédition antartique française était la première à avoir hiverné dans les régions polaires. Qu’apportait-elle au monde et à notre pays en particulier ?
Environ 1 000 kilomètres de tracés nouveaux pouvaient être portés sur la carte de ces régions, dont certaines étaient inconnues jusqu’alors et la moisson d’observations, recueillies dans les ordres les plus divers, élargissaient le champ des découvertes de la science. C’est ainsi que les résultats de l’expédition du Français furent jugés extrêmement importants par le monde scientifique et maritime ; c’était certes la meilleure des récompenses pour Charcot et ses compagnons.
Voilà ce qu’un modeste bâtiment français, monté par vingt hommes décidés – dont la plupart firent partie par la suite du célèbre Pourquoi pas ? – a réalisé il y a cinquante ans pour l’honneur de notre pays et pour l’avancement de la science. Peut-être était-il bon de le rappeler à une époque où les régions polaires sont plus que jamais à l’ordre du jour.
Robert Allart
Sang neuf, 13, 1966
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