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L’Interview du Ministre (1985)

Cahiers de l’EA, 49, 1985

Article du 4 février 2011, publié par PO (modifié le 20 décembre 2012 et consulté 752 fois).

Dans le cadre des émissions de France-Inter destinées aux jeunes, une classe de cinquième de l’Ecole alsacienne a été conviée, le 27 mars 1985, à s’entretenir avec une personne de son choix. Celui-ci s’est porté tout naturellement sur le père de deux anciens élèves de l’Ecole, devenu ministre de l’Education nationale. M. Jean-Pierre Chevènement s’est, de très bonne grâce, prêté à l’interview.

EmmanuelAvez-vous été choisi comme ministre en fonction de vos compétences ou pour des raisons politiques que nous ne connaissons pas ?

Jean-Pierre Chevènement – Il se trouve que j’ai déjà été ministre de la Recherche et de l’Industrie. Sans doute a-t-on pensé que je pouvais être utile à un moment particulier. C’était en juillet 1984. Au moment où se constitue un gouvernement, c’est le Premier Ministre qui consulte les personnes qu’il désire voir figurer dans son gouvernement et moi, j’ai indiqué que l’Education nationale me plairait.

EmmanuelEn venant à ce ministère, aviez-vous l’intention de changer quelque chose ou de continuer dans la même voie que votre prédécesseur ? Quand on vient d’être nommé, n’est-on pas tenté de changer pour changer ?

Jean-Pierre Chevènement – Oui, c’est une tentation que l’on peut avoir, mais enfin, en ce qui me concerne, quand j’ai accepté de faire partie du gouvernement, il y avait, vous le savez, beaucoup de manifestations à propos de l’école privée. Il était inévitable qu’on prenne des orientations nouvelles et, quant à moi, j’estimais important de revaloriser l’école, en particulier l’école publique. Je l’avais toujours pensé ; je l’avais toujours dit. Je crois que le problème le plus important à notre époque est de faire une bonne école pour nos jeunes et pour notre pays, car c’est la chance de notre pays d’avoir une bonne école. C’était évidemment une manière de prendre le problème, qui n’était pas la même que celle qui s’était imposée par le fait des manifestations et de toutes sortes d’incompréhensions. J’ai bien sûr été amené à changer un certain nombre de choses.

VanessaLe système d’éducation à la française apparaît-il satisfaisant en ce qui concerne la formation des maîtres, les vacances, la place donnée aux sports... On dit que les Anglais ont un meilleur système.

Jean-Pierre Chevènement – En réalité, quand on va à l’étranger, on se rend compte que bien souvent on envie le système français, qui semble meilleur. Il ne faut pas que nous pensions que notre système est forcément mauvais, mais, dans ce que vous avez dit, il y a des choses justes. Par exemple, on ne développe pas assez le sport à l’école et c’est la raison pour laquelle, avec le ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Calmat, j’ai envoyé une circulaire pour demander que, autant que possible, là où on pouvait trouver des animateurs, quand il y a des stades, on fasse en sorte que l’horaire du sport à l’école ait lieu en fin de matinée ou en fin d’après-midi ; qu’il y ait une meilleure articulation avec le sport en dehors de l’école. Mais cela suppose qu’il y ait des terrains de sport, des terrains de football, des piscines disponibles, qu’il y ait des animateurs et qu’il y ait des associations, que les municipalités prennent cela en charge. Qu’on arrive donc à un système proche du système anglo-saxon, où le matin jusque vers 13 heures les enfants travaillent les matières scolaires alors que l’après-midi est davantage consacré aux sports. Alors, si on pouvait aller dans ce sens-là, ce serait une bonne chose.

VanessaVous avez apaisé la querelle école privée - école publique, tant mieux. Nous, nous voulons une bonne école. Où peut-on la trouver à coup sûr ?

Jean-Pierre Chevènement – A coup sûr, c’est à vous d’en faire l’expérience, ou bien à vos parents. J’essaie de faire en sorte que l’école publique soit reconnue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une bonne école publique. Globalement, ses performances sont un petit peu meilleures que celles de l’école privée. En général, bien sûr. Il y a toujours des cas particuliers. Mais on ne peut pas comparer d’une manière aussi simpliste une catégorie aussi vaste puisqu’il ya tellement d’écoles publiques et tellement de lycées, tellement de collèges, et puis tellement d’établissements privés. Il faut regarder ce que sont les résultats des uns et des autres. Ces résultats dépendent de beaucoup de choses mais, dans l’ensemble, je crois que l’école publique ne se porte pas aussi mal qu’on l’a prétendu et mes efforts tendent à ce qu’elle soit à la fois une école ouverte à tous et une école de qualité.

VanessaIl y a un prêtre qui a dit à ma cousine que beaucoup de ministres mettaient leurs enfants dans des écoles privées. Est-ce vrai ?

Jean-Pierre Chevènement – Je vous dirai qu’après tout, les ministres sont des citoyens comme les autres. Il faut bien vous mettre dans l’esprit que les ministres occupent une fonction qui est forcément passagère ; on n’est pas ministre toute sa vie ; ce n’est pas un métier qu’on fait du début jusqu’à la fin. Il y a certains citoyens qui ont la charge de diriger une grande administration comme, par exemple, l’Education nationale ou bien les Affaires culturelles ou bien l’Armée, etc... et ces citoyens ont les mêmes droits que tous les autres citoyens et, en France, les citoyens peuvent choisir l’école où ils veulent envoyer leurs enfants. Cela fait partie des libertés qui sont reconnues comme la liberté de l’enseignement. Et en même temps, vous voyez la contrepartie : l’Etat doit procurer à tous les enfants, en France, une éducation laïque, c’est-à-dire qui soit respectueuse de toutes les croyances, qu’on soit catholique, juif, musulman, athée... Il faut que l’école puisse être ouverte à tous les enfants.

FlorentNos cours sont nombreux, le système d’éducation est très lourd. Ne pensez-vous pas que l’on pourrait supprimer des cours ou des matières et lesquels ?

Jean-Pierre Chevènement – Oui, lesquels ? Avez-vous une idée ? Il y a des options, comme pour les langues vivantes. Vous pouvez choisir entre l’anglais, l’allemand, l’espagnol et même d’autres langues. Mais il est difficile de dire que l’on va supprimer des matières, car, si elles sont au programme, c’est qu’elles ont toutes une utilité, et si on veut faire du latin, par exemple, c’est parce que l’on considère que c’est la base à partir de laquelle le français s’est forgé, nous apprenons à mieux connaître l’origine de certains mots, et puis cet enseignement vous donne une idée de la structure de la phrase dans une langue différente de la nôtre. C’est une bonne formation, car cela fait appel à l’esprit logique, un peu comme les mathématiques d’ailleurs. Est-ce que c’est très difficile ? Je voudrais répondre clairement. Doit-on supprimer des matières parce qu’on ne peut pas les apprendre sans un petit effort ? Je sais bien, c’est quelquefois ennuyeux d’apprendre. Mais il faut vous dire que si vous ne faites pas l’effort d’apprendre, par exemple la grammaire latine puisque nous parlons de latin, ou la grammaire française, vous aurez beaucoup de difficultés par la suite. Alors il faut faire un petit effort, y compris sur le plan de la mémoire, pour ensuite ne pas être obligé de tout reprendre à zéro.

StéphanePourquoi dit-on que nous sommes de plus en plus mauvais en orthographe ? Est-ce vrai ?

Jean-Pierre Chevènement – Cela, je ne sais pas si c’est vrai. Des études ont été faites. Beaucoup de personnes me disent cela, recevant des lettres pleines de fautes d’orthographe et moi-même j’en relève quelques-unes dans le courrier que je signe ; quelques-unes m’échappent d’ailleurs ! Mais, bien sûr, il faut toujours faire attention à l’orthographe. Autrefois, était-elle plus soignée ? Oui, dans les cahiers qu’on expose dans les musées pédagogiques. Dans la vie courante, je n’en sais trop rien. J’ai tendance à penser que ce petit déclin provient de ce qu’on ne fait plus autant d’exercices qu’autrefois pour consolider ce qu’on apprend. Et puis, on est dans une civilisation de l’image, on passe trop de temps devant la télévision et peut-être pas assez à lire ou à écrire. J’ai donc tendance à penser qu’il y a une petite dégradation de l’orthographe, mais je ne pense pas qu’elle soit aussi catastrophique qu’on le dit parfois.

FlorentQue pensez-vous de la différence d’éducation à votre époque et à la nôtre ? Aimeriez-vous être un élève maintenant ?

Jean-Pierre Chevènement – Oui. Je trouve que vous avez, par exemple, accès à beaucoup plus de documentation pédagogique, de matériels divers notamment à travers la télévision. Vous avez une plus grande ouverture sur le monde. Mais, en même temps, l’école que j’ai connue, quand j’allais au lycée – c’était au début des années 50 – était sûrement une école plus stricte, plus rigoureuse. On apprenait des choses plus anciennes, des textes qui étaient des textes de littérature. On était moins « branchés » sur l’actualité. Je crois qu’il faut trouver un équilibre et ne pas perdre le contact avec la connaissance d’un certain nombre de grands textes fondamentaux, parce que si vous ne faites que lire les journaux... Vous le savez, rien ne se périme plus vite que les journaux : un jour chasse l’autre.

DanQue pensez-vous des relations entre professeurs et élèves ? A votre avis, cela va-t-il mieux ou cela a-t-il changé depuis une quarantaine d’années ?

Jean-Pierre Chevènement – C’est très difficile de comparer, car quand j’y étais vous n’y étiez pas et maintenant vous y êtes et moi je n’y suis plus ! Par conséquent, on ne peut donner que des impressions. Moi, j’ai gardé beaucoup de bons souvenirs de l’école et je suis plutôt reconnaissant à mes maîtres de ce qu’ils m’ont apporté. Mais peut-être qu’à cette époque-là, les élèves étaient plus indulgents à l’égard de leurs professeurs. Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? Vous êtes contents de vos maîtres ?

DanÇa dépend desquels !

Jean-Pierre Chevènement – Oui, et pour être très franc, moi aussi !

EmmanuelSouhaiteriez-vous rétablir les examens d’entrée en sixième ?

Jean-Pierre Chevènement – Tous les enfants doivent parvenir jusqu’à la fin de la troisième. Par conséquent, à quoi servirait un examen d’entrée en sixième ? Ce serait absurde. Le seul examen que je rétablis, vous le savez peut-être, vous allez le passer dans quelques années, c’est le petit examen à la fin du collège, le brevet, qui sera un examen simple pour vérifier ce que vous avez acquis, la formation générale qui vous permettra de continuer vos études ou bien de pouvoir acquérir une formation professionnelle.

Florent L’école est obligatoire jusqu’à seize ans. Un enfant de cet âge est-il suffisamment mûr pour entrer dans la vie active ? Ne pensez-vous pas qu’il faudrait rendre l’école obligatoire jusqu’à dix-huit ans, afin qu’il soit plus facile aux jeunes de s’intégrer dans la vie professionnelle ?

Jean-Pierre Chevènement – Je crois que vous avez tout à fait raison. Dans la plupart des pays d’ailleurs, le nombre de jeunes qui prolongent leurs études jusqu’à dix-huit ans est plus important qu’en France, dans les pays avancés comme le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne. En France, il y a à peu près la moitié des jeunes qui poursuivent leur scolarité jusqu’à dix-huit ans. Donc, il y a des progrès à faire. Il faut que les jeunes soient de plus en plus nombreux à entrer dans les lycées. C’est du reste le but de ma politique éducative et c’est la raison pour laquelle je crée des postes d’enseignants : pour que davantage de jeunes en sortant de la troisième continuent jusqu’au baccalauréat.

StéphaneComment imaginez-vous l’enseignement dans une cinquantaine d’années ? Croyez-vous au développement de l’informatique tel qu’on le prévoit ? Est-ce que ce n’est pas exagéré ?

Jean-Pierre Chevènement– L’enseignement a-t-il tellement évolué ? Oui et non. Parce qu’on n’a jamais pu, par exemple, se passer de maîtres. Il y avait des précepteurs dans l’antiquité et aujourd’hui il y a des professeurs. Et celui qui cultiverait l’illusion qu’on peut se passer de maîtres se tromperait. Dans cinquante ans, il y aura encore des maîtres ; ils seront nécessaires, et il y aura aussi des livres, puisque l’informatique qui va pénétrer dans nos écoles sur une grande échelle à la rentrée prochaine ne va pas du tout supprimer le livre, ne serait-ce que pour apprendre à se servir d’un ordinateur ! Il faut savoir aussi, je crois, que l’enseignement évoluera en fonction des technologies nouvelles et des supports de l’information, à savoir outre l’informatique, l’audiovisuel : la télévision, les magnétoscopes, les vidéodisques. L’école a beaucoup changé depuis une vingtaine d’années. Elle s’est davantage ouverte sur la vie. Il y a les projets d’action éducative ; on vous promène ; on vous envoie dans des classes vertes, classes de mer, classes de neige ; on vous fait visiter des musées. Tout cela représente une certaine ouverture de l’école. J’ai de la peine à imaginer ce qu’elle sera dans cinquante ans. Si je le savais, ce serait encore plus difficile d’être ministre !


Sang neuf (Cahiers de l’École alsacienne), 49, 1985

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