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Les Embarras de Paris (1967)
Cahiers de l’EA, 16, 1967
(Inspiré de Boileau)
Par Billy Jerrold, 4e1.
Le Paris d’aujourd’hui, c’est le Paris sans pieds.
Marchez, marchez si vous pouvez.
Il y a toujours quelque carrefour
quelque passage avec des clous
où vous croyez pouvoir un jour
aller de l’autre côté.
MARCHEZ, MARCHEZ SI VOUS VOULEZ,
MAIS LAISSEZ LA VOITURE ROULER.
Votre salut, piéton, c’est le feu tricolore,
et, jetant les regards de tous côtés,
vous foncez bravement au milieu de la chaussée.
Quand vous avez découvert
qu’il était vert,
il est trop tard pour reculer.
MARCHEZ, MARCHEZ SI VOUS VOULEZ,
MAIS LAISSEZ LA VOITURE ROULER.
Et les freins crissent et les trompes sonnent,
à droite, à gauche, on vous klaxonne.
Ce n’est pas le moment de s’énerver.
Quels que soient les noms qu’on vous donne,
personne ne bouge
avant le rouge.
MARCHEZ, MARCHEZ SI VOUS VOULEZ,
MAIS LAISSEZ LA VOITURE ROULER.
Le nez sur les échappements,
vous restez là à déguster
les senteurs toniques
des vapeurs carboniques.
Vous n’aurez plus qu’à épousseter
vos poumons et vos vêtements.
MARCHEZ, MARCHEZ, SI VOUS HUMEZ,
CE SERA LA POUSSIERE ET LA FUMEE.
Enfin le moment approche
où vous pensez gagner en paix
l’autre trottoir qui est si proche,
mais il vous attend le gardien de la paix
avec son carnet
de poche.
MARCHEZ, MARCHEZ SI VOUS VOULEZ,
MAIS LAISSEZ LA VOITURE ROULER.
Quand il a échappé aux dangers de la circulation, le piéton se heurte aux travaux sur la voie publique. Il ne lui reste même plus de trottoir pour se réfugier :
Quand l’EDF fait ses travaux,
et creuse ses belles tranchées,
il vous reste souvent un petit plancher
pour aventurer vos pas hésitants.
Et, si le marteau-piqueur vibre,
tenez bien votre équilibre.
MARCHEZ, MARCHEZ SI VOUS VOULEZ,
MAIS LAISSEZ LA VOITURE ROULEZ.
Les embarras de Paris ne sont pas seulement dans la rue. Les transports en commun constituent, plusieurs fois par jour, un supplice pour le Parisien qui se rend à son travail :
Vous aurez peut-être la fantaisie
de prendre le métro ;
mais il y a trop
de voyageurs. Ne poussez pas,
allons, allons, soyez polis,
montrez un peu de courtoisie.
MARCHEZ, MARCHEZ, SOYEZ TASSES
MAIS LAISSEZ LES COUREURS PASSER.
Dans le wagons de deuxième classe
vous n’aurez jamais de place.
Si vous réussissez à vous glisser
avec adresse
il faudra, pour en sortir,
jouer des coudes et des fesses.
MARCHEZ, MARCHEZ, NE SOYEZ PAS FIERS,
ET LAISSEZ FERMER LES PORTIERES.
Il y en a qui préfèrent respirer
et qui s’en vont pedibus
attendre l’autobus.
Alors, s’armant de patience,
ils prennent avec conscience
le bout de la queue.
MARCHEZ, MARCHEZ, FAITES DU SUR-PLACE,
MAIS NE LAISSEZ PAS PRENDRE VOTRE PLACE.
Les jours de grève, la situation s’envenime. C’est le malheureux piéton qui en subit toutes les conséquences :
Si c’est un jour de débrayage,
vous en avez pour vos tickets.
Vous partez pour un long voyage,
le long du quai.
Pour éviter les gaz brûlés,
vous aurez doucement roulé.
MARCHEZ, MARCHEZ DANS LE VENT,
MAIS PRENEZ LE BUS SUIVANT.
La voiture est partout. Elle envahit tous les espaces libres et, en mouvement ou arrêtée, elle est toujours l’obsession du piéton :
Le soir, vous gagnez votre rue sans encombre,
vous avez franchi tous les décombres
et bravé
tous les dangers.
Il reste encore à contourner
la machine arrêtée qui ne peut plus tourner.
MARCHEZ, MARCHEZ PRUDEMMENT,
C’EST LA VOITURE EN STATIONNEMENT.
Le Parisien ne peut même plus se reposer la nuit s’il a la malchance d’habiter sur la rue :
Dans Paris la nuit, dans Paris qui s’endort,
des engins pétaradent, des camions ronflent encore.
Il suffit d’un vélomoteur
le traversant du Sud au Nord
pour tirer de leur torpeur
deux cent mille dormeurs.
DORMEZ, DORMEZ SI VOUS POUVEZ,
ROULE LA VOITURE DONT VOUS REVEZ.
Sang neuf, 16, 1967
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