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Bertille Verret : Rose

Année 1997/98 - Collège

Article du 22 juin 2010, publié par PO (modifié le 25 novembre 2009 et consulté 508 fois).

« Il devait être dix heures du soir, le ciel était couleur eau de vaisselle. Et elle, allongée sur les pavés, recouverte de sang, un revolver à la main, semblait encore vivante.

Ses paupières étaient fermées et sa bouche entrouverte laissait penser qu’elle voulait nous faire ses adieux.

Je pense avoir toujours su que ça allait se finir comme ça, et pourtant, je m’étais imaginé que mon amour allait la sauver. »

Des larmes commencent à couler sur mes joues. Mon psychologue, monsieur Fragant, toussote : « Reprenez vos esprits. Je comprends que cette histoire a dû être très éprouvante pour vous. Mais, pour que je puisse vous aider il faudrait que vous me racontiez tout depuis le début ! »

J’essuie mes larmes d’un geste machinal.

« C’était il y a environ quatre ans. À cette époque je n’avais que dix neuf ans. Nous étions en juillet 1994. Je me demande encore pourquoi j’ai mis autant de temps avant de parler de cet "incident". Peut être avais je peur de ne pas pouvoir décrire sa beauté, notre amour et ma souffrance lors de sa mort. »

Le classeur de monsieur Fragant tombe. Je me baisse pour le ramasser et le repose sur son bureau.

« Reprenez, je vous prie, » me demande monsieur Fragant d’une voix calme et grave.

« Je passais mes vacances dans une petite ville d’Italie qui s’appelait, si je me souviens bien "Castiglione del Lago". Je logeais dans une grande ferme dont la propriétaire, madame Santini, accueillait les voyageurs venant des quatre coins d’Europe.

Nous étions à environ cinq cents mètres d’un magnifique lac où, tous les matins, de jeunes enfants venaient se baigner.

Le temps était très chaud et les paysages ressemblaient à des tableaux pleins de couleurs et de magie.

Je passais mes après midi sur une colline qui dominait les environs.

Je me suis mis à écrire, à dessiner mais surtout à penser à mon avenir. Je venais de passer mon bac et l’idée de reprendre mes études dès la fin des vacances ne m’enchantait guère. J’avais opté pour une année sans travail et sans obligation.

Je voulais parcourir le monde entier pour connaître d’autres civilisations, d’autres religions mais surtout d’autres modes de vie et d’autres visages...

Un soir, alors que je rentrais, madame Santini m’interpella avec son fort accent italien :

"Gaetan, tu n’as toujours pas rencontré une charmante jeune fille qui te sortirait un peu. Ta colline est bien jolie, mais il y a tellement de belles choses à découvrir en Italie.

"Je sais bien madame Santini, mais je n’ai pas vraiment la tête à ça pour l’instant ! "

"Ça c’est que tu crois mon petit bonhomme, mais quand tu auras vu la nouvelle arrivante tu changeras vite d’avis. C’est une pure merveille !"

Je haussais les épaules ne sachant que répondre et continuais mon chemin en direction de ma chambre.

Je m’allongeais sur mon lit en repensant à ce que venait de me dire madame Santini.

Je n’avais encore jamais aimé. Bien sûr j’avais déjà eu de nombreuses aventures mais rien de sérieux. L’amour m’était encore inconnu.

Je m’endormais sans avoir dîné et me réveillais le lendemain matin, assez tôt pour apercevoir de ma fenêtre le lever du soleil.

J’entrouvrais ma fenêtre et un courant d’air chaud s’engouffra dans ma chambre.

J’enfilais un short, un tee shirt délavé et remettais mes cheveux en place.

Je descendais l’escalier qui menait au réfectoire. Il devait être environ 7 heures et déjà une chaleur étouffante se faisait sentir. En passant devant la fontaine j’attrapais le petit seau posé sur le banc, le remplissais à moitié d’eau fraîche et me le renversais sur le visage. Mes habits étaient trempés mais c’était le moyen le plus efficace pour retrouver en partie mes esprits.

Je marchais quelques mètres, essayant néanmoins d’essorer ma chemise, et tombais nez à nez avec la plus belle femme qu’il devait exister sur cette planète.

Elle avait de longues jambes fines, une taille parfaite et une magnifique poitrine. Ses longs cheveux roux, légèrement ondulés, étaient retenus par une mince ficelle laissant s’échapper de nombreuses mèches qui retombaient gracieusement sur son visage. Ses yeux en amandes étaient d’un des plus beaux verts. Son nez formait une courbe parfaite et son sourire était angélique.

Elle remonta ses mèches et dit en rigolant :

"Vous devez être vraiment bizarre pour prendre votre douche tout habillé !"

Je restais muet face à tant de beauté. Il me fallut plusieurs longues secondes avant de pouvoir lui répondre.

"Mon nom est Gaetan, et mon plus grand rêve serait de connaître le vôtre !"

Elle rigola.

"Je m’appelle Rose ! Vous me flattez beaucoup mais j’aimerais regagner ma chambre."

Je la laissais avancer à contre coeur. "A bientôt, Rose !"

Son rire résonnait dans ma tête. Jamais je n’avais vu pareille grâce. Je me retournais et la regardais s’éloigner.

"Elle est belle, n’est ce pas ?" s’exclama madame Santini. "Ravissante," lui répliquais je.

"Enfin si j’étais toi je ferais attention, il parait qu’elle a beaucoup de problèmes. Les mauvaises langues disent qu’elle est folle !"

Elle n’avait rien l’air d’une folle, je l’aurais plutôt qualifiée comme un ange. "Quelle chambre a t elle ?" demandé je.

"La petite chambre en dessous de la tienne. Celle qui donne sur le petit jardin."

"Ah ! Merci beaucoup."

"De rien, mon petit !"

J’engloutissais un petit déjeuner pour dix personnes et remontais dans ma chambre pour digérer un peu.

Épuisé, je m’endormais sous une chaleur excessive.

Rose était dans mon rêve, vêtue d’une grande robe en lin blanc, et portait dans ses cheveux une couronne de marguerites.

Elle marchait vers moi, mais plus elle s’approchait plus elle disparaissait, ne devenant alors plus qu’un fantôme.

Je ne sais pas si ce rêve m’avertissait de quelque chose ou si ce n’était qu’un rêve insignifiant parmi tant d’autres.

Je ne prenais pas garde à cet événement et continuais de penser à elle nuit et jour.

Elle restait la plupart de son temps cloîtrée dans sa chambre. Elle ne sortait que pour les repas et pour sa promenade quotidienne qu’elle effectuait le long d’une falaise.

Certains disaient qu’elle voulait s’y suicider. Je n’ai jamais cru à ces rumeurs. Pour moi elle était une sainte, et une sainte ne se suicide pas.

Un soir, alors que je ne trouvais pas le sommeil, je décidais de sortir pour me changer les idées. J’étais sur le petit sentier menant au lac. On entendait au loin quelques grillons. La lune m’éclairait et de douces senteurs me guidaient dans mon chemin. Mais au bout d’une dizaine de mètres, un bruit des plus étranges, un bruit n’appartenant pas à la nuit vint interrompre, la symphonie des grillons, les jeux de lumières de la lune, le délice des parfums des fleurs d’été.

C’était des pleurs. Le bruit s’intensifiait lorsque je me dirigeais vers une grosse motte de foin.

C’était Rose, cachée sous le foin n’ayant comme habit qu’un simple drap blanc noué au dessus de sa poitrine. Je la prenais dans mes bras. Elle me repoussait et me dit d’une voix angoissée et hésitante :

"Je vous en prie, ne le dites à personne."

"Vous avez ma parole."

Je restais sur cette botte de foin une grande partie de la nuit. Je repensais à ses pleurs déchirants, à ce qui aurait bien pu lui arriver pour qu’elle éprouve une aussi grande souffrance.

Pendant plusieurs jours, nous ne nous adressâmes pas la parole. Et puis, un jour, alors qu’elle se dirigeait vers la falaise, je lui offrais une brassée de roses de multiples couleurs, jaunes, rose, oranges... toutes plus belles les unes que les autres. Un silence s’installa puis je me décidais à parler :

"Elles vous plaisent ?"

"C’est la plus belle attention qu’on n’ait jamais eue pour moi ! Mais, ne vous sentez pas obligé. Je ne veux pas qu’on exprime de la pitié envers moi."

"Oh non ! Vous ne comprenez pas. Je vous offre ces roses en signe d’amitié, j’aimerais beaucoup vous connaître."

"Ca me touche énormément, mais je ne sais pas si le fait de vous présenter en public en ma compagnie serait très bon pour votre image au sein de cette ville."

"Le fait de me promener avec la plus belle femme d’Italie me serait néfaste ? Vous rigolez, j’espère ! Suivez-moi, je vais vous emmener dans le plus bel endroit de ce pays."

Le trajet se déroula dans le plus complet des silences. Je l’amenais sur ma colline.

En arrivant là bas, elle dirigea son regard vers l’olivier qui ombrageait une partie de son visage.

"Tu dois sûrement te demander pourquoi je pleurais la nuit dernière."
Je venais de me rendre compte qu’elle me tutoyait, je faisais de même.

"Si tu ne veux pas m’en parler, c’est pas grave, je respecterais ton silence."

"Non s’il te plaît, j’ai besoin de parler."

Elle me parla pendant très longtemps. Son enfance avait été très dure.

Sa mère était morte lors de la naissance de son petit frère. Son père fut très violent envers elle pour combler la souffrance qu’il éprouva lors de la disparition de sa femme. De nombreuses fois elle fit le projet de partir, mais son frère était trop jeune. Un soir, alors qu’elle était chez une amie, son frère tomba dans le coma pour avoir avalé trop de médicaments. Son père était, ce soir-là, trop soûl pour le surveiller. Son petit ange, comme elle le surnommait, mourût quelques jours plus tard.

Elle ne pardonna jamais à son père d’être inconscient à ce point. Elle partit vers de nouveaux horizons essayant de trouver du travail, allant de ville en ville, mais elle ne trouva rien. Elle décida alors d’aller se reposer ici le temps des vacances et de retrouver sa tante qui habitait près de Florence.

Je ne sais pas si elle me parlait ou si seulement elle essayait de se disculper de ne pas avoir été là lors de l’accident de son petit ange.

Lorsqu’elle eut fini son histoire, elle se leva sans me regarder.

Je l’attrapais, l’attirais vers moi et l’embrassais. Elle ne se débattit pas. Au contraire, elle me serra le plus fort qu’elle pouvait.

Lors de ce baiser je compris que je l’aimais. C’était le coup de foudre. J’aurais tout fait pour elle. »

Je m’arrête quelques instants pour me ressaisir et reprends :

« Nous rentrions main dans la main. Juste quelques rayons l’éclairaient. Dans sa grande robe pastel, on l’aurait prise pour un papillon, un magnifique papillon. Elle souriait. C’était le plus beau sourire que l’on pouvait imaginer.

Je pense qu’elle était heureuse d’avoir parlé. Mais il fallait beaucoup plus pour qu’elle puisse surmonter cette épreuve. Il lui fallait l’amour d’une famille, d’une vraie. Je ne pouvais malheureusement pas combler ce manque. »

Je commence à sangloter. Mon souffle se coupe. Je m’immobilise. Plus aucun signe ne prouve que je suis vivant. Mais non, se serait trop simple de mourir comme ça, d’éviter ma souffrance. Monsieur Fragant se lève et pose ses deux mains sur mes épaules :

« Vous étiez bien parti, ne vous arrêtez pas maintenant. Vous arrêter est le meilleur moyen pour mourir avec elle. Allez, reprenez-vous ! »

J’aime la façon dont il me dit ça, ça me rassure mais aussi ça m’effraie. Son souvenir est il en train de me tuer ?

« Allez, essayez du moins ! » me dit monsieur Fragant.

« Nous avons passé la nuit ensemble. Sa peau était douce et sentait la pêche. Elle se blottissait dans mes bras. Je l’observais une bonne partie de la nuit et me réveillais en fin de matinée. Elle n’était plus à mes côtés. Je la cherchais toute la matinée et la retrouvais sur ma colline. Elle admirait le paysage. Elle ne m’embrassa et ne me regarda même pas. Elle me dit juste :

"Mon père m’a écrit. Je ne sais pas comment il a fait pour me retrouver !"

"C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?"

"Tu parles ! Il veut me faire croire qu’il a arrêté l’alcool, qu’il veut tout recommencer au début et qu’il m’aime."

"C’est formidable pour toi. Tu vas enfin avoir une vraie famille !"

"Il m’a déjà fait le coup. Je reviens à la maison pleine d’espoir et d’amour à revendre. Les premières semaines se passent très bien. Puis il reprend l’alcool et là la vie est impossible. Je sais maintenant qu’il ne pourra jamais m’aimer alors pourquoi réessayer si c’est pour souffrir lorsque je le verrais rentrer à la maison soûl sachant qu’il n’y plus aucun espoir. C’est trop dur."

Elle se leva et vint se serrer contre moi.

"Gaetan, je suis seule, sans famille, comment vais je m’en sortir ?"

"Je suis là, et à tout moment, si tu en as besoin, je serais là pour t’aider."

Je l’embrassais.

"Rose, je t’aime."

"Moi aussi, Gaetan."

Nous décidions de passer l’après midi au bord du lac.

Ce fut le plus beau moment de toute mon existence. Il n’y avait personne. Tous les enfants étaient partis au grand rallye qu’organisait la commune.

Le soleil tapait fort. Il n’y avait aucun nuage. Je fis beaucoup de croquis d’elle et du paysage cet après midi.

Beaucoup de ces dessins sont encadrés dans ma maison. »

« Et continuez vous à peindre ? » me demanda monsieur Fragant.

« Vous devriez reprendre la peinture. Ce serait enfin le moyen d’accepter son départ. »

« Je ne pense pas pouvoir. C’était mon dernier après midi passé avec elle et ce furent mes derniers croquis. »

« Je vois, mais repensez à ce que je viens de vous dire. Enfin reprenez où vous en étiez, s’il vous plaît. »

« Nous rentrions à la ferme vers les 17 heures. Il faisait assez doux. Je lui ramassais un coquelicot. Cette fleur me fait beaucoup penser à elle, c’est très beau mais ça se fane trop vite.

Ce fut notre dernière soirée ensemble.

Nous allions nous coucher. Elle était comme d’habitude, belle et détendue.

Comme tous les soirs, elle m’embrassa pour me dire bonsoir et se blottit dans mes bras.

Je m’endormais puis une détonation provenant de la cour me réveilla.

Elle m’avait laissé pour rejoindre son petit frère, pour un univers meilleur.

D’elle, il ne me reste que mes croquis et ce mot : Je t’aimerais toujours. Rose. »

Des larmes me brûlent les yeux mais je me retiens de pleurer. Je me lève.

« Merci beaucoup monsieur. Ça m’a fait du bien de parler mais je dois y aller, il se fait tard. »

Je me dirige vers la porte. Monsieur Fragant m’interpelle :

« Tu es fort et intelligent, tu t’en sortiras, j’en suis sûr. »

La rue où je retombe est gaie, pleine d’enfants jouant à la balle. La nuit tombe.

Je rentre chez moi. J’ouvre un petit placard. Pleines de poussière, mes affaires de peintures reposent ici depuis des années.

Je prends mes pinceaux, mes plus belles couleurs et sors.

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