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Iris Valet : Si

Année 2012/13 • Collège, coup de coeur des élèves

Article du 6 juin 2013, publié par PO (modifié le 6 juin 2013 et consulté 214 fois).

Si...

Septembre 1935

Pas un bruit, pas un geste, pas une émotion ne semblait déranger le sommeil des habitants de ce village perdu au beau milieu de rien. La brume qui précédait l’arrivée du soleil s’enroulait autour des arbres et des lampadaires. L’église, noire dans la nuit, s’élevait jusqu’à des sommets invisibles.

Quand le premier rayon d’un soleil hésitant vint caresser les sommets du clocher, une ombre indistincte se faufila sans bruit au milieu du brouillard qui commençait déjà à s’évaporer. Pénétrant presque timidement sur la place, ses pas devinrent de plus en plus distincts et l’ombre finit par sortir totalement des nappes de brume. C’était une femme comme tant d’autres, les traits tirés par la fatigue et le chagrin. Elle se hâta de rejoindre le centre de la place, où le brouillard finissait de disparaître, révélant un monument aux morts, qui portait de trop nombreux noms. Sa main se leva, presque automatiquement, et en caressa un, bien précis, au sommet de la liste.

— Tu sais Paul, je te le dis tous les ans, mais je devrais avoir plus qu’un simple nom sur un rocher pour me rapeller de toi. Mais tu aurais quand même dû m’écouter. Parce que j’avais raison... Et tu n’as pas idée combien je le regrette...

3 Aout 1914

Au milieu de la fumée, la foule s’entassait sur le quai. La guerre avait été déclarée peu de temps auparavant, et les soldats commençaient à partir. Les paris sur la durée de la vengeance contre l’Allemagne allaient bon train, mais la plupart des gens s’attendaient à ce que tout soit fini dans les trois prochains mois.

Sur le quai, les femmes disaient une dernière fois au revoir à leur mari, et eux embrassaient une dernières fois leurs enfants. Certains pleuraient, beaucoup riaient, persuadés qu’ils seraient rentrés aussi vite qu’ils étaient partis.

Au milieu de toute cette agitation se faufilait une jeune fille en robe blanche. Elle attrapa par la manche un des nombreux soldats, le forçant à se retourner.

— Paul !

Le dénommé Paul la dévisagea, puis, penaud tout à coup, il fixa ses pieds.

— Paul, tu m’avais promis que tu n’y irais pas !

— Je suis désolé Claire, mais c’est important pour le pays, et c’est important pour moi... Tu te rends compte ? Je vais être de ceux qui ont rendu l’Alsace et la Lorraine à la France ! Et puis je n’ai pas vraiment le choix !

Elle le regarda, exaspérée.

— Et tu penses que c’est une bonne raison pour aller mourir ?

— Mais je ne vais pas mourir Claire. Je te le promets.

— On a jamais vu de guerre sans morts Paul, sinon, on n’appelle pas ça une guerre...

— Tu t’inquiètes beaucoup trop...

Elle leva ses magnifiques yeux bleus sur lui, qui la dominait facilement de deux têtes, puis le regardant comme si elle voulait lire au plus profond de son âme, elle lui dit :

— Paul, je te connais depuis que je suis née, et en plus d’être mon meilleur ami, tu es comme mon frère. Tu m’as aidée quand j’avais besoin d’aide, et même quand il n’y avait pas de raison, alors, oui, il est totalement normale que je m’inquiète. Et ce serait le fait de ne pas m’inquiéter qui serait grave. Tu veux partir à la guerre ! Non, mais tu te rends réellement compte de ce que tu fais là ? Et puis nous ? Nous ne valons peut-être pas la peine que tu restes ?

— Bien sûr que si Claire ! Mais je serai de retour avant trois mois, je te le promets ! Vous pouvez vivre sans moi pendant si peu de temps quand même ! Et crois moi, si je pouvais rester ; je le ferai...

— Et si je ne veux pas que tu partes ? Que dois-je faire pour t’en empêcher ?

— Mais rien de ce que tu feras ne changera quoi que se soit ! Je suis engagé Claire, et je ne souhaite pas déserter ! Essaie au moins de respecter mes décisions si tu ne veux pas les comprendre !

— Comment veux-tu que je puisse respecter une décision qui va à l’inverse des promesses que tu m’as faites ?

— C’est une question d’honneur et de loyauté envers mon pays Claire ! Ce n’est pas comme si j’avais vraiment le choix ! hurla-t-il presque.

Elle recula comme si ses paroles l’avait brûlée.

— On a toujours le choix Paul, je pensais que toi, plus que quiconque le savait.

Elle se retourna, et essaya de s’éloigner au milieu de la fumée épaisse et de la foule qui hurlait des paroles insensées. Certains semblaient heureux de partir. Ne comprenaient-ils pas qu’ils allaient droit vers une mort certaine ? Apparemment, Paul lui-même ne voulait pas voir la réalité. Elle repensa à toutes ces fois où il avait trouvé le mot juste pour la consoler et la soutenir. Et maintenant qu’il partait, elle n’était même pas capable d’essayer de comprendre sa décision, d’après ses mots. Il était son meilleur ami, et elle ne le reverrait peut-être plus jamais, pourquoi fallait-il qu’elle gâche toujours tout ?

Brusquement, elle se retourna, bausculant une des nombreuses femmes qui attendait le départ du train. Elle se mit à courir, heurtant ceux qui la gênaient, et de nouveau, elle se trouva face à Paul. Essouflée, elle lui dit :

— Je suis désolée !

Paul la regarda sans rien dire, et elle ajouta :

— Je suis tellement désolée ! Tu peux comprendre, non ? Je suis désolée ! Et j’ai peur. J’ai tellement peur ! Je ne veux pas que tu partes parce que j’ai peur ! S’il t’arrivait quoi que ce soit... Tu es mon meilleur ami Paul, mon seul ami ! Je ne veux pas savoir à quoi ressemblerai ma vie si tu n’étais plus là... Et cette guerre ! J’ai le sentiment qu’elle peut briser notre petit équilibre, et je ne le veux pas... Tu peux comprendre ?

Ses joues se recouvraient de larmes, elle ne voyait plus rien en dehors de la grande figure de Paul, et elle continuait à pleurer. Il la prit dans ses bras, et murmura de sa voix si grave :

— Allons petite soeur, le soleil n’arrêtera pas de briller pendant mon absence... La vie continue, à toi d’essayer d’en faire de même... Quand le tocsin de l’église a sonné durant la moisson, hier, je me suis convaincu que je n’avais pas peur, maintenant, c’est à toi de faire de même. Aide ceux qui restent dans les champs, et protège les. Je sais que tu en as la force... Il faut juste que tu arrives à en trouver le courage. Et il ne faut surtout pas que tu oublies que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à surmonter sa peur... Maintenant, à toi de montrer au monde entier de quoi tu es capable...

— Et ton frère ?

— Surveille-le pour moi, je t’en prie. Il est encore tout petit, il va faire de nombreuses bêtises, mais je sais que tu es la personne la plus apte à t’occuper de lui... Promets-le moi...

Le train sonna, et Paul fut obligé de monter dans le train, malgré le peur qui lui serrait les entrailles, et qu’il cachait de son mieux pour ne pas effrayer plus qu’elle ne l’était déjà celle qu’il aimait comme une soeur.

Le train partit, et sur le quai, dans sa robe blanche, Claire regardait Paul partir au loin, un mauvais pressentiment lui tordant le ventre..

Septembre 1935

— Oui... Tu aurais dû m’écouter, au lieu de tout briser parce que tu pensais devoir y aller... D’une certaine manière, vous avez été tous été bien bêtes, tous ces noms écrits-là, et tous les autres...

Claire poussa un soupir, puis reprit :

— Ton frère va bien ! Il s’est marié, et il habite en face de chez moi maintenant, il vient me voir tous les jours, parce qu’il sait que je suis toute seule... Mais, je t’ai déjà dit ça l’année dernière... Il va avoir un enfant ! Ça c’est nouveau ! Ça ne me rajeunit pas tout ça... Trente-neuf ans... Déjà vingt-et-une années que tu es mort...

Sa voix se brisa sur le dernier mot, et elle fit une pause. Quand le soleil éclaira son visage, elle trouva la force de continuer, et elle ajouta :

— Tu te souviens quand tu m’as dit que le soleil continuerait de briller malgré ton absence ? C’est vrai, il est toujours là... Mais moi, je n’ai pas trouvé la force de continuer... Enfin... Je leur ai fait croire que j’y arrivais, tant qu’ils avaient besoin de moi, comme tu me l’avais demandé.... Mais après... Regarde, je suis en train de parler à un caillou ! C’est bien la preuve que je n’y suis pas arrivée...

Les larmes coulaient sur son visage, sans qu’elle ne puisse rien faire pour les arrêter. D’un geste rageur, elle essaya de les essuyer, puis elle se releva, et regardant le monument, elle dit :

— Il faut que je parte travailler, Paul... Nous nous reverrons l’année prochaine, peut-être avant si j’ai le courage de venir te voir...

Elle se détourna et partit en chancelant dans la rue qui commençait à se réveiller, inconsciente que ce jour-là, on pouvait pleurer la mort de Paul, un inconnu parmi tant d’autres...

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