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Brice Richard : Allo, papa ?
Année 1999/2000 – Collège
Il arriva chez nous un dimanche de novembre. Il pénétra dans notre intimité, à ma mère et à moi (mon père était parti depuis longtemps). Cet homme, grand, brun aux yeux bleus et vêtu de noir s’approcha de moi :“Jean ?”
Je lui répondis par l’affirmative. Ma mère dirigea son regard vers moi et je pus lire sur son visage une expression que je ne lui connaissais pas, la surprise. Elle qui prévoyait toujours tout, pour la première fois de sa vie, j’en suis sûr elle était étonnée. Mais qui était donc cet homme qu’elle connaissait apparemment ? Des larmes gagnèrent ses yeux et il éclata en sanglots.
“Excuse-moi, Jean ! Pardon !” furent ses seules paroles entrecoupées de pleurs. Une fois calmé, ma mère lui proposa de s’asseoir. il débuta alors un monologue pour le moins surprenant :
“Excuse-moi, toi aussi Marie. Mais il faut me comprendre, à cette époque-là je n’en pouvais plus. Je ne savais plus ce que je faisais. Pardonnez-moi. Si je suis parti c’est parce que… Oh ! Et puis non, je suis impardonnable, je me cherche des excuses.” Je commençai à comprendre. Ce fut ma mère qui brisa le long silence qui suivit :“Dis-lui qui tu es !” Il reprit la parole en s’adressant à moi :“Jean, je suis ton père.” Ça y était. Le mot était lâché. C’était donc ça. Ne sachant plus quoi faire, je courus me réfugier dans ma chambre. Je n’en sortis que deux heures plus tard, après avoir évacué toutes les larmes de mon corps et en étant sûr que “il” était parti. Je trouvai ma mère, errant au milieu du salon. Je pris place sur le gros canapé marron qui trônait dans le séjour en face de la télévision. Ma mère s’assit à côté de moi.
“Jean, je t’ai un peu noirci le tableau, ton père n’est pas exactement comme je te l’ai décrit. Ce n’est pas une ordure. Il faut le comprendre et le pardonner. Savoir pardonner est une qualité et puis c’est ton père.” L’interrompant alors je lui répondis vivement :
“Non, c’est pas mon père ! J’ai pas de père ! Lui, c’est un étranger, je ne le connais pas !
”Mais moi je le connais et c’est un mec bien, je suis certaine que vous allez bien vous entendre.”
“Ça m’étonnerait, je ne veux plus le revoir. Jamais !”
Avec cette dernière remarque, j’avais clos le débat. Au moins pour ce soir.
Le lendemain matin, c’est fatigué de la mauvaise nuit que je venais de passer que je commençai mon petit déjeuner. Tout à coup, je réalisai que ma mère n’était pas là. En effet, je découvris sous ma brosse à dents un mot m’expliquant qu’elle avait dû partir plus tôt. J’arrivai au collège, en retard, comme d’habitude. Mon professeur de Latin ne manqua pas de me rappeler que j’étais en quatrième, que j’avais treize ans et qu’il fallait prendre conscience de la réalité et des horaires imposés “par les institutions scolaires.” Quand la cloche sonna enfin, elle n’avait toujours pas réussi à capter mon attention. Ce ne fut pas non plus chose aisée pour mes professeurs d’Anglais et d’Histoire-Géo qui y parvinrent tout de même. Le déjeuner enfin arriva. Le chef cuisinier de la cantine avait préparé comme tous les lundis deux plats à peine comestibles. Il faut dire que pour le prix qu’on payait (20 Frs !) on ne pouvait s’attendre à mieux. Au menu : couscous, merguez (qui avaient d’ailleurs une drôle d’allure) et du cabillaud (noyé sous une sauce improbable) accompagné de blettes en gratin. Autant dire que les repas à la cantine me faisaient étonnamment maigrir. Après ce repas rapide, je retournai dans la cour et interpellai mon voisin et meilleur ami :
“Arthur !”
“Quoi !” me répondit-il nonchalamment.
“Il faut que je te parle, sérieusement.”
Erreur fatale, je le dérangeai en plein match de foot. Il s’arrêta et me rejoignit, pourtant. La sueur perlait sur le début de moustache qu’il laissait apercevoir.
“Mon père est revenu.”
“Qui ça ?”
“Mon père,” fus-je obligé de lui répéter.
“Eh ! Mais c’est génial !”
Nous nous lançâmes dans une longue discussion sur le retour de mon géniteur. Nous fûmes interrompus par la cloche annonçant le début du cours de Français. Les deux heures qui suivirent furent parmi les rares cours qui m’intéressaient vraiment.
Lorsque je sortis de cours, mon père m’attendait. Je passai devant lui faisant mine de ne pas l’avoir vu.
“Jean ! m’appela-t-il. Attends ! Écoute-moi. Si je suis rentré, c’est parce que j’ai un cancer : je suis condamné à mourir.”
Une boule se forma dans ma gorge, puis j’éclatai :
“Alors c’est pour ça que tu es revenu, c’est pour me faire souffrir une deuxième fois, tu ne reviendras plus après !”
“Pas du tout, c’est pour passer le plus de temps possible avec mon fils que je n’ai pas vu depuis onze ans…”
“À qui la faute ? Je t’ai attendu, moi, ce mercredi de janvier où tu es parti.” Et je le laissai là.
En rentrant à la maison, je continuais à penser à ses dernières paroles et à celles de ma mère. Un cancer… Jamais je ne m’en serais douté. Cancer, cette maladie était assez floue dans ma tête. Je tirai le gros livre de médecine de ma mère, infirmière au dispensaire du quartier. Je cherchai :
“A…b…c…ca…can…cancer. Voilà !” Je lus le début de l’article : “Cancer : maladie parfois incurable.” Cette seule phrase suffit à accroître mon chagrin. C’était donc vrai. Je refermai le livre, m’allongeai et m’endormis rapidement. À mon réveil, je fouillai dans mes poches à la recherche de ma montre, lorsque j’y découvris une carte de visite :
Charles DUPUIS
80, bd Ch. de GAULLE
06002 Nice
tél. : 04-56-49-10-11
C’était celle de mon père. Je ne savais pas comment elle était arrivée là. Je décrochai le téléphone dans un état d’excitation qui m’étonna moi-même. Je composai le numéro de mon père sur les grosses touches rouges de notre téléphone. La sonnerie monotone de France Telecom retentissait.
“Allo !” c’était la voix de mon père.
“Allo, papa ? Papa, c’est Jean, il faut qu’on se voie.”
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