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Léonard M. : Blam !

Année 1999/2000 – Lycée

Article du 22 juin 2010, publié par PO (modifié le 11 juillet 2011 et consulté 364 fois).

Ça a débuté comme ça. Moi, je n’avais jamais rien dit. Ma porte a claqué. Je n’ai jamais rien dit. Elle est partie. Pourquoi ? Oui, ça a débuté comme ça. Chez moi. Ici. Je pleure. C’est rare. Dans ma chambre. La porte est fermée, a claqué. Sur mon lit. Le couvre-lit est jaune. Comme les blés. A la campagne. Ensemble. Dans les blés. Nos premières vacances. Elle m’a quitté.

Ses jambes. Elle soupire, transpire. Elle n’est plus là. Je l’aime, l’aimais. Chez moi. Chez elle. Sur son lit. Mauve. Comme le lilas. Il y avait du lilas à la campagne. Premières vacances. Première rencontre. Une soirée je ne sais plus où. Elle. Qu’elle dans mon regard. Devant moi. Eux. Mes yeux. Aveugles désormais. Privés de lumière.

D’elle. Les yeux grands ouverts. Les siens. Dans les miens. Tous deux. Bras et jambes. Serrés. Enserrés. Les gerbes d’or. Enserrées aussi. Emmêlées les unes aux autres. Elle et moi. Plus maintenant. Plus jamais. Tout va trop vite. Tout est allé trop vite. Elle m’a aimé. Le temps d’amours. Délicieuses amours. Sa bouche, mes lèvres, papilles, les siennes. Je parle trop. Un cri. Un seul. C’est le seul son qui est sorti.

J’ai tremblé. Comme elle le soir. Dans les blés. Je tremble encore. On s’est revu le lendemain. La journée d’après. Un temps infini pour nous deux. Le temps s’est arrêté. Le temps d’un cri. Le sien, le mien. Un seul cri s’élevant dans la rue et la chambre. Un dernier soupir, un dernier baiser et l’étreinte se relâche. Notre amour consommé. Les soirées dans les blés. Les gerbes pliant sur notre passage. Nous roulons dans les draps. Ils s’enroulent autour d’elle. Comme mon amour.

Un dîner en tête à tête. Tant de souvenirs dans l’une d’elle. Aujourd’hui. D’elle et de moi. D’un amour commun, partagé. Les odeurs de fleurs des champs m’enivrent. Me submergent. Et ce choc. Pourquoi ? Il faut que je sorte. Je ne peux pas. Rester. Où aller ? Chez elle. On y était. La première fois. Avant les blés, les lilas. Emmêlés. L’un à l’autre. Plus jamais.
Plus de draps mauve. Vendu. Avec la maison. Chez moi. Mes larmes dégoulinent. Coulent. Comme les siennes sur son front. C’est l’amour. Maintenant, assis. Ma tête empaumée. Humide. Comme elle. Dans la rosée. Tout. Tout me fait penser à elle. Arrêter. Arrêter de penser A rien Ces images l’ont remplacées. Ce n’est plus qu’elles que je vois. Elle en fait partie. Elle roule, roule dans les blés. Sur la chaussée.

Je ne suis plus avec elle. J’ai traversé. Elle m’a suivi dans les champs. Dans la rue. Pas complètement. Elle ne faisait jamais semblant. En amour. En rire, en pleurs. La mort est arrivée. Elle n’a pas fait semblant. Aussi vite que ce bruit de moteur. Que ce bruit de moteur au beau milieu des champs de blés. Les criquets crissent au matin. Un œil, puis l’autre s’ouvre. Les siens restent ouverts.

Plus un cil ne tremble comme ils pouvaient trembler. Ils cillaient dans le bonheur quand moi je fermais les yeux pour mieux savourer le plaisir. Mais non. Son visage est impassible. Et les cuisses du criquet se frottent comme les nôtres se frottaient. Plus silencieusement. Dans des soupirs. Et les criquets qui crissent et crissent de nouveau. Cela la réveillait. Mais c’était avant. Au matin. La sirène aussi. Dans le lit. Celle-ci est plus froide. Elle arrive. S’arrête. Et repart.

Trois notes. Qui se répètent et résonnent dans mes oreilles. Le soleil est bas dans le ciel quand je l’embrasse dans le cou. Par derrière. Je la surprend un peu chaque matin. Mais ici de toute façon le soleil entre peu et je ne peux plus la surprendre. Elle seule le peut. Elle n’a qu’une chose à faire et ne le fera plus jamais. Au travers des larmes. Comme dans l’eau, la forme est vague. Nous nagions et nos ébats. Dans la mer.

Mais ce sont des larmes. Salées. Comme maintenant. Sa chaleur l’a quittée. Sa main est froide. Tout est froid. Ces murs blancs. Il me fallait partir. C’est fait. Je suis là. Chez moi. Après deux heures mes paupières recouvrent mes larmes. Ma langue est salée. La sienne ne l’était pas. Jamais. Et c’est fini. J’ai deux alliances depuis ce soir. Une à chaque main. Elle n’a plus la sienne dans son tiroir. Je ne dois plus penser. Dormir.

Ma femme est morte hier soir, renversée par une voiture sur un boulevard. Un boulevard du crépuscule pour elle, pour moi aussi. Ce matin, tout est supposé reprendre son cours, et la routine de nouveau s’installer. Mais non. La cassure a été trop forte pour que la vie reprenne. La place qu’elle prenait dans ma vie, mon cœur, ceux des autres, c’est un vide désormais. Il pourra être comblé pour certains mais comment pourrait-il en être de même pour moi ? Je l’aimais et l’avais épousé peu avant. Trop peu de temps. Le thé chauffe. C’était elle qui buvait du thé et c’est pour elle que je le bois. Etrange façon de fêter l’événement, mais c’est ce que j’ai trouvé de mieux avant un tel rendez- vous. Il m’a pris par le bras hier soir et m’a donné un rendez-vous que je n’avais pas la force de refuser. Je n’en ai toujours pas la force et j’irai le voir comme font tous les autres, parait-il. Le thé bout. Je le laisse bouillir.
Mais qu’est ce que je fais là ? Je parle de mon enfance et il me dit que ça ne peut me faire que du bien. Il dit avoir compris. Que le fait que je ne sache pas ce qui ne va pas est le problème et que la vrai raison de mon désespoir est antérieure. Comme s’il savait quoi que ce soit ! Ma femme est morte dans mes bras, voilà tout. Ça peut paraître facile ce refus, mais je ne peux pas. Ne pas réfléchir. Ne pas penser. Sinon, c’est sur elle que mon regard se pose. Penser au moment présent. Regarder le psy. Regarder son cabinet. Il est juste au dessus de moi, assis dans son fauteuil à me parler et je m’en fous. Tout ce que je fais, c’est regarder les bibelots sur sa cheminée ; souvenirs du Tyrol et respirer l’odeur de cuir sur lequel je suis allongé. Il va me filer des cachets pour m’empêcher de dérailler et je les balancerais dans la première poubelle parce que je m’en moque. J’aurais jamais dû venir.

Je sors ce soir. Je dois me distraire, voir des gens, me promener. Le plus loin possible du boulevard. Sur l’avenue, une boîte branchée dit-on. J’entre, accueilli par une musique techno, “ house ”, mais peut-être y a-t-il une différence, je ne sais pas. Ce matin je buvais du thé trop chaud qui ne me réchauffait pas. Ce soir, la chaleur de l’alcool descend dans ce corps vidé. Je n’ai rien mangé depuis ce matin. L’alcool blanc se répand vite. Et son effet aussi. Koubanskaïa. Un nom russe, de l’est. Ils sont fort pour ça. Les Russes sont belles, blondes souvent. Cette musique va et viens dans mes oreilles à un rythme régulier, trop régulier pour être plaisant. Des chocs électroniques qui se réfléchissent comme les lasers sillonnant les airs. Un autre alcool. Deux c’est mieux. Trois. Double. Le rythme en plus des effets suffisent. Je la vois. Elle est là. Brune au loin qui s’éloigne ou s’approche, je ne sais pas. Non, bien sûr ce n’est pas elle. Je l’espérais pourtant. Celle-ci s’assoit pas si loin, mariée : elle a une alliance. Qu’une alliance. J’ai rangé la sienne mais gardé la mienne. Je l’enlève. Non. Je ne convoiterai pas la femme d’un autre, je ne commettrai point l’adultère. Elle le tromperais. Je ne la tromperais plus. Il est trop tard. Il arrive et s’en vont. Eux. Je reste, regarde. Je veux me souvenir d’elle. L’amour. Dans les bras d’une autre, peu importe. La première. Jolie. Ou belle.

Chez elle. J’ai refusé chez moi, dans notre lit, non. Baiser. Baisers dans le cou l’un de l’autre. L’extase et l’alcool nous montent à la tête. Sa robe se dégrafe. Et glisse. Sa poitrine. Ses seins. Ses hanches. Jambes. Le long, mes lèvres. Les siennes. Mais c’est à elle que je pense, que je vois. Aller, venir vers moi. Une énergie se libère. Elle crie. Moi aussi : mon Dieu. Elle est près de lui. Je ne le renie pas, crois toujours en lui. Je crois. Mais pourquoi dans toute sa bonté et sa miséricorde l’a-t-il laissé crever au milieu de ce boulevard ? Je dois sortir. Elle se débat, c’est normal, me griffe. L’alcool, l’amour. Je sors.

De l’alcool ou de l’amour, l’amour m’a fait le plus de mal. Ce sentiment de trahir, j’ai fini par le ressentir. Je n’ai pas pu l’éviter. L’alcool aussi fait du mal. C’est derrière un arbre que j’en souffre, à l’abri des regards indiscrets. Plus jamais d’alcool, parole d’alcoolique. Des regards indiscrets s’approchent. Deux. Deux paires. Les regards vitreux, comme moi, mais de drogue. Crack, sans doute. La pire merde. Ils la cherchent en plus. Mais j’ai perdu ma femme et ne désire qu’une substance : l’adrénaline. Tout va vite. Un canon mais c’est moi qui le tient sous la gorge de l’un. La balle peut pénétrer la gorge et le liquide pourpre et chaud se répandre sur mes mains, le long de mes bras et entacher ma chemise tandis qu’un dernier cri s’élèverait dans la nuit. Hier déjà j’ai vécu ça. Mais c’était elle, et elle est partie. Je l’explique doucement à celui enserré dans mes bras. Mais je ne tuerai point. J’ai eu de la chance. Eux aussi.

Je rentre. Chez moi, du courrier. Condoléances pour moi, regrets pour l’autre. J’en prends un poignée, enjambe et piétine les autres. C’est elle qui intéresse. Moi, c’est la forme. Ses amis. Qui sait si en leur fond intérieur… C’est moi qui l’aimais. Vraiment. Elle était la seule, depuis peu, depuis ces fameux liens sacrés du mariage. Vieux jeu. Plus profond. Comme la blessure que son absence a laissée. Son rire me manque, oui. Sa voix, tout elle, sauf peut être sa manie de me frotter mes cheveux coiffés. Mais si ce n’était que ça, si je pouvais la ravoir, je la reprendrai. Entière. Mais non je ne peux pas bien sûr, et les seuls souvenirs que je veux avoir d’elle sont les gais, ceux qui me manquent. Les blés, lilas violets sous le ciel bleu. L’alcool se dissipe : 0,2 gramme par heure je crois. Il doit m’en rester encore beaucoup, mais j’ai les idées claires. Trop claires et en même temps pas assez. Assez. Je l’aime et ne la retrouverai jamais, et jamais mon imagination ne sera assez puissante pour me la faire voir entière. C’est par bribes, images qu’elle m’apparaît. Assez. Ce poids sur les genoux, sous les papiers de regrets, des larmes et des larmes de regrets, ce poids. Une crosse, un canon, trois balles dans le barillet. C’est dangereux. Le chien si je le remonte. On s’était promis d’avoir un animal. Mais dans la ville, les boulevards, c’est dangereux. Plus jamais de chien. Plus jamais de rien. Ce froid sur ma gorge. Mon amour, mon désespoir. Blam. C’est fini. Tout est fini. La lumière blanche et ce sang qui coule et coule.

Ma vie n’avait pas été si mauvaise, jusqu’à hier. Une vie normale : école, études diplômes. L’amour, le sexe et l’argent mais pas trop. Un peu de drogue aussi. Trop. Contre la religion, mais on dit qu’il faut vivre avec son temps. Tout est contre aujourd’hui. Les amours. Quelques unes je croyais.

Mais non. Elle, c’était de l’amour. Aube. Drôle de nom qui lui allait bien. Aurore aurait été mieux. Elle était belle. Comme elle. Deux mois. Avant les fiançailles. Puis l’église, oui. Puis ce moteur. Je n’ai même pas vu la voiture. Seul le bruit du moteur et le blam de son corps. Fauchée. Comme les blés sur la chaussée.

Ce blanc que voient les grands miraculés, je l’ai vu aussi mais je crois que c’était celui de l’ambulance puis de l’hôpital. Ils devraient essayer de peindre tous le murs hospitaliers et peut-être que certains diront : “Je suis revenu de là dont on ne revient pas, c’est par dessus les nuages au coucher du soleil, rose ou vert, c’était le jardin d’Eden.”. Mais ils ne tenteront pas l’expérience. Beaucoup croient sincèrement avoir vu le visage de Dieu. Elle ne l’a pas été ; je suis un miraculé.

J’y crois. C’est mieux de se dire que j’ai été sauvé. J’ai pu commettre des pêchés, mais j’ai respecté les commandements. Du moins ceux auxquels j’ai pensé ; quand j’y ai pensé. Le Seigneur dans sa grande miséricorde m’a accordé son Pardon et le retour dans le monde des vivants. Ça a plus de force que de dire qu’allongé sur une civière, sous oxygène, un tuyau dans le bras, le médecin a réussi à retirer la balle de mon crâne sans toucher le cerveau, quoique cela puisse aussi être considéré comme un miracle. Mais je préfère ma version. Je crois même avoir vu Aube. La lumière était parfois rouge orangée et elle était là, au milieu, baignée de ces couleurs.

Je délirais, c’était du sang, m’a-t-on dit. Mais je maintiens ma version. Malgré son invraisemblance, j’y crois. Elle est belle. Je suis réconcilié. Peut-être m’a-t-elle dit que mon heure n’était pas venue, mais j’ai oublié. C’est complètement idiot, mais ça me fait plaisir. La vie reprend doucement le dessus sur le vide de son absence. J’y pense parfois, souvent. Je l’aime, l’aimais. Ça avait commencé et failli finir comme ça. J’ai fait une erreur et tout s’est presque arrêté. Il ne faut pas fuir. C’est justement en ce qu’on aime que l’on trouve la force de s’en sortir. Ça a failli. Dans un blam ! Mais tout va mieux maintenant.

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