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Candice Djorno : Le jour où j’ai dépassé ma peur

Année 2012/13 • Collège

Article du 6 juin 2013, publié par PO (modifié le 6 juin 2013 et consulté 566 fois).

Le jour où j’ai dépassé ma peur

La nuit commençait à tomber. Une brise glaciale soufflait lorsque nous sortîmes de l’école. Avancer dans ces rues gelées devenait de plus en plus difficile. Quelques mètres plus loin, je quittai mes amies pour rentrer chez moi. J’étais frigorifiée. Je m’imaginais déjà assise sur le canapé, un chocolat chaud dans une main, mon livre dans l’autre.

Un violent coup de vent me fit sortir de mes pensées. J’aperçus alors un étrange vieil homme sur le banc de l’arrêt de bus. Je me trouvais assez proche pour sentir la mauvaise odeur de ses vêtements déchirés. Son nez épaté était rouge et ses mains sales. Il tremblait sous sa couverture orange. Sa tête ne cessait de bouger sur le côté, ce qui m’effraya. Il prononçait des paroles incompréhensibles. Je me mis à courir. Mon cœur battait vite, très vite. Je ne regardais plus vraiment où j’allais, je voulais seulement quitter cette vision le plus rapidement possible.

Je montai l’escalier de l’immeuble et ouvris la porte. J’entendis ma mère s’écrier.

— Chérie, c’est toi ?

— Oui, maman, répondis-je essoufflée.

— Ça va, Lena ? Tu m’as l’air très fatiguée. Que s’est-il passé ?

Je posai mes affaires dans ma chambre et retournai me réfugier dans ses bras, tremblante de peur.

— J’ai rencontré un vieillard très étrange dans la rue, dis-je à moitié en pleurs. Il portait des vêtements déchirés et parlait tout seul. On aurait dit un vieux fou !

— Mais que t’a-t-il fait ? me demanda-t-elle un peu inquiète.

— Je ne répondis pas tout de suite, repensant à la scène. En réalité, il s’était contenté de remuer la tête et dire des paroles qui ne signifiaient rien. J’avais dramatisé la situation.

— Rien, à vrai dire.

Ma mère fut soulagée.

La soirée passa rapidement. Mes devoirs terminés, je me couchai plus tôt que d’habitude. Je n’arrivais pas à dormir : je réfléchissais à cette rencontre. Je me remémorais les faits tels qu’ils s’étaient passés. J’avais vu le vieil homme ; il parlait tout seul ; j’étais partie en courant. Rien de terrible, finalement. Je réalisais à quel point mon attitude avait été stupide.

La colère commença à monter en moi. J’avais réagis face à cet homme comme s’il s’agissait d’un monstre effrayant. Je m’étais imaginé une agression de sa part, alors qu’en réalité, il n’avait rien fait de mal. J’étais indignée. Indignée contre mon comportement et ma réaction.

Je me rappelai son regard. Ce regard attristé, dont je n’avais pas compris le sens. Il fallait que je répare mon erreur. Et, sur cette dernière pensée, je m’endormis enfin.

Le lendemain, je me réveillai après une nuit bien mouvementée. J’avançais dans l’appartement, encore endormie et j’arrivai à la cuisine. Sur la table, je découvris un gâteau au chocolat moelleux qui sortait du four. J’en pris une part avec gourmandise. Quelques minutes plus tard, j’étais habillée. Je m’apprêtais à partir lorsque ma mère me proposa avec tendresse :

— Il reste une dernière part, la veux-tu pour la récréation ?

Une idée me traversa l’esprit.

— Oui, je la prends, ton gâteau était délicieux, maman.

— Merci. Oh ! Avant que je n’oublie, pourrais-tu jeter les vieilles moufles de ton père qui sont sur le meuble de l’entrée s’il te plaît ?

Je saisis la paire de gants en question, la rangeai dans mon sac et quittai la maison. Le jour s’était levé et quelques rayons de soleil transperçaient les épais nuages. Pour ne pas tomber, je marchais lentement sur le trottoir légèrement enneigé. Je passai devant les poubelles pleines sans m’arrêter, mon idée toujours en tête. L’arrêt de bus était toujours occupé par le vieillard assis sur son banc, l’air morose, sa tête gesticulant sur le côté. Je vis un groupe de jeunes adolescents s’approcher de lui en le montrant du doigt, riant. Quelques secondes plus tard, ils partaient en courant, encore moqueurs, évitant le vieillard. Apparemment je n’avais pas été la seule à mal agir envers lui. Je pris mon courage à deux mains et m’approchai de lui. Il me regarda avec un air surpris. Je lui tendis la part de gâteau un peu écrasée par mes cahiers. Il continua à me regarder, de plus en plus étonné. Je m’éclaircis la gorge et dis gentiment :

— C’est pour vous Monsieur.

Il n’avait pas l’air de bien comprendre alors je lui posai la part sur les genoux. Je m’écartai un peu, toujours sur mes gardes. Il saisit la part de ses mains tremblantes. Il se mit à manger très lentement, savourant le plaisir de la nourriture. Pendant qu’il dégustait chaque bouchée, je l’observai avec émotion. La peau de son visage était sèche à cause du froid. Son corps frissonnait sous ses vêtements déchirés. Sous son large manteau de laine, il portait une chemise épaisse et un gilet couvert de taches brunes. Son pantalon trop court découvrait des chaussettes à pois. Ses pieds étaient chaussés de baskets trouées.

Après l’avoir attentivement regardé, je me demandai pourquoi j’avais eu une telle réaction la veille.

— Merci, dit-il après sa dernière bouchée, d’une voix presque inaudible.

Je rougis. J’étais plantée là, à le regarder sans savoir que faire, lorsque je me souvins des moufles toujours rangées au fond de mon sac. Elles comportaient une fourrure légèrement abîmée et avaient conservé l’odeur de mon père. Je les lui donnai.

— Je les ai apportés pour que vous puissiez vous réchauffer.

Il prononça un « merci » de sa voix rocailleuse, très ému. J’aperçus une lueur dans ses yeux humides. Il me sourit. Je lui souris pour la première fois. Je me souviendrai toujours de cet instant qui a changé ma considération pour lui... même si je continuerai à être un peu effrayée à sa vue.

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