Sommaire

Sommaire

Recherche

Nous suivre

newsletter facebook twitter

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Dimitri Alexopoulos : Au n° 16...

Année 1996/97 – Lycée

Article du 16 avril 2010, publié par PO (modifié le 24 juin 2010 et consulté 657 fois).

Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny. Aussi curieux que cela puisse paraître, son habitat ne possédait aucune porte. Bien sûr, il avait construit de nombreuses ouvertures pour entrer et sortir aisément. Enfin, ça ne valait évidemment pas une véritable maison. Quant aux meubles, M. Piekielny avait pensé encore une fois à la simplicité : « les meubles, ça prend de la place inutilement, et quand on est co-locataire, ce n’est pas toujours évident de trouver un compromis ». Ses co-locataires habitaient la maison depuis bien longtemps. Ça leurs a fait tout drôle, aux Wassielievich, de voir débarquer un beau matin M. Piekielny, et sans bagage ! C’est qu’ils n’étaient pas au courant de sa venue, et au début, M. Piekielny a dû se battre pour pouvoir rester. D’ailleurs, les Wassielievich ne supportent toujours pas sa présence. « Cet animal ne respecte rien, ici… Quand on laisse de la bouffe sur la table, par exemple, et bien on peut être sûr de ne plus rien trouver le lendemain, ou alors, pire, de la retrouver toute grignotée, à même les dents, et un peu partout éparpillée… Ah non, un jour, on trouvera le moyen de s’en débarrasser de cette foutue bête… ». M. Piekielny n’aimait pas qu’on l’appelle ainsi, il ne comprenait pas la langue, mais lisait cette impression de supériorité sur le visage de la famille. C’est vrai, à la fin, ce n’est pas parce qu’on n’a pas la même culture, la même éducation et que l’on est différent, qu’on doit être insulté ou même discriminé. Ils feraient mieux de lui apprendre les règles de vie de la maison, même si M. Piekielny mettrait des mois, voire des années pour les comprendre puis les appliquer.

En effet, M. Piekielny était loin d’être comme eux. Certes, il était petit, comme bon nombre d’habitants de Wilno (enfin tout est relatif), mais ce qui le différenciait des autres, c’était sa moustache extravagante. Elle était si longue, que même si les anciens avaient décidé de laisser leur moustache pousser toute leur vie, elle n’égalerait pas en longueur celle de M. Piekielny. Il voulait absolument garder ses vibrisses, c’était sa façon de ne pas ressembler aux autres, mais bien aux siens, à sa vraie famille. C’était pour lui, l’occasion de penser à sa mère, non pas qu’elle eût de la barbe, mais tout comme…

Il se disait toujours que s’il pouvait fonder une famille, il le ferait aussitôt. Il en voulait plein des bébés, de toute façon. Le plus important, c’était de trouver une compagne. Mais qui aurait voulu d’un ermite, sans véritable métier, co-locataire et vivant grâce aux autres ? Personne. Personne, à part peut-être une comme lui… Et encore… Il ne savait pas comment s’y prendre. C’est-à-dire qu’il ne sortait jamais, il avait bien trop peur de la grande ville, avec ses millions d’habitants, et ses voitures roulant trop vite. Non, il aurait pris trop de risques à sortir, et puis qui pouvait lui promettre de trouver un aussi douillet refuge que chez les Wassielievich ? C’est vrai que c’ était un endroit un peu vétuste, mais il avait tellement de place pour lui tout seul !

Une fois, alors qu’il s’amusait dans la grande cour, il tomba nez à nez avec un des siens. Il s’appelait Stuart, parlait la même langue que lui, et plus important, portait les quasi-mêmes moustaches. Sa peau était bien bronzée, toute poilue, (un Méditerranéen peut-être ?). Ils avaient sympathisé, étaient devenus de très bons copains. Mais un soir, alors qu’il l’avait invité chez lui, M. Piekielny entendit un miaulement dans la cuisine. Il prit soudain peur. Il expliqua à son concubin qu’il était affreusement allergique aux chats, et que ça semblait être héréditaire, car la plupart de sa famille fut décimée rien que par un seul chat. Stuart, téméraire et surtout alléché par l’odeur qui dégageait de la cuisine, s’aventura en dehors de la planque, et ne revint jamais. M. Piekielny n’entendit plus jamais parler de lui.

Un autre jour, alors que M. Piekielny cherchait de la nourriture, il trouva un énorme morceau de fromage accroché à un appareil très sophistiqué. Il ne s’en inquiéta point du tout, et le lendemain, on pouvait entendre chez les Wassielievich, comme un jour de fête. « On l’a eue ! criaient les enfants. On l’a eue ! » Et le père Wassielievich, fier de la guerre qui durait depuis maintenant une bonne année et qui venait d’être remportée par lui-même, brandissait triomphalement l’attrape souris qui écrasait la pauvre queue de M. Piekielny.

École alsacienne - établissement privé laïc sous contrat d'association avec l'État

109, rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris | Tél : +33 (0)1 44 32 04 70 | Fax : +33 (0)1 43 29 02 84